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La piste de Santa Fe: sur les traces des légendes du Far-West
CARNETS DE ROUTE: BOUCHAREB REALISE UNE COPRODUCTION ALGERO-AMERICAINE
Publié dans L'Expression le 14 - 08 - 2013

Rachid Bouchareb, Forest Whitaker et Ahmed Bedjaoui
Il faut dire que notre Bouchareb national n'est pas un inconnu aux USA. En février 2011, il réussissait pour la cinquième fois à figurer parmi les cinq derniers «nominés» pour l'Oscar du meilleur film étranger. Le cinéaste ne laisse pas indifférent outre-Atlantique. Son style et le format de production qu'il a développés rappellent ceux montrés par des réalisateurs comme Michael Mann ou Martin Scorcese que Bouchareb admire.
Il n'aura fallu que quelques mois après la présentation de Hors-la-loi aux Oscars, pour que Rachid mette en scène son premier film américain Just like a woman présenté en avant-première, en ouverture aux Journées cinématographiques d'Alger et au Festival du film arabe d'Oran, l'année dernière. Tourné en langue anglaise, Just Like a Woman est interprété par la star américaine Sienna Miller et la grande actrice iranienne Golshifteh Farahani, aux côtés de Chafia Boudraâ en belle-mère abusive et de Rochdi Zem en mari gentil mais passif. L'histoire raconte la vie de deux femmes en rupture d'amour: une Américaine et une Algérienne qui voyagent de Chicago à Santa Fe, afin de participer à un concours de danse. Le film est une coproduction de sociétés françaises, britanniques, américaines et algériennes. En effet, et bien que notre pays n'ait pas du tout contribué au financement de ce film, Bouchareb a tenu à mentionner sa société algérienne Tassili Films parmi les producteurs, ce qui donne la nationalité algérienne à l'oeuvre. Le réalisateur affiche clairement son intention de faire de ce film le premier d'une trilogie décrivant la relation entre le monde nord-américain et arabe. Dans ce «road movie» qui mène les deux femmes sur la route mythique de Santa Fe et des tribus Pueblos et Apache, il dénonce à la fois l'islamophobie et l'intolérance à l'égard des femmes, sévissant au sein d'une partie des classes moyennes américaines.
Les deux fugitives, sont en revanche protégées dans une réserve par des Amérindiens. L'auteur rappelle à cette occasion leur massacre lors de la fête du Thanksgiving (Action de grâce), qui reste lié au sort tragique réservé aux tribus indiennes. Comment ne pas voir dans ce clin d'oeil, un hommage au défunt Ahmed Ben Bella qui présidait une fondation de défense des Indiens d'Amérique et originaire comme le cinéaste de la ville de Maghnia?
Rachid Bouchareb est revenu sur la fameuse piste de Santa Fe au Nouveau Mexique où il vient d'achever le tournage du deuxième film de sa trilogie américaine Enemy way. C'est là que je suis allé le retrouver. Long voyage de près de quinze heures cumulées vers le coeur de l'Amérique. Je devais rejoindre l'équipe du film à El Paso, ville mythique du Texas, à la frontière du Mexique au Sud, du Nouveau-Mexique au Nord et de l'Arizona à l'Ouest. Pour y arriver, je suis passé par Atlanta, capitale de l'Etat de Géorgie et surtout connue pour abriter le siège de la compagnie Coca Cola. Atlanta compte moins de 700.000 habitants, mais possède avec Hartsfield-Jackson, le plus grand aéroport du monde avec plus de 1300 décollages par jour et 92 millions de voyageurs. La seule compagnie Delta traite 1000 vols quotidiennement, dont la grande majorité en vols intérieurs, ce qui donne une idée du trafic aérien domestique américain. En 10 minutes, un train vous mène de votre point d'arrivée à votre porte de transit. Pour ceux qui viennent de Roissy, la comparaison est accablante pour l'aéroport français en termes de délais, d'efficacité et de savoir-faire: vous êtes bien aux Etats-Unis et le professionnalisme s'impose à tout moment comme une norme supérieure.
Il faut trois heures de vol pour atteindre El Paso, la sixième ville de l'Etat du Texas. Son aéroport de style hispanique, n'en traite pas moins plus de trois millions et demi de voyageurs, exclusivement en vols domestiques. Dès qu'on s'éloigne de la côte Est, on s'aperçoit que les Etats-Unis fonctionnent comme un continent et parfois même comme le seul monde qui existe. El Paso est située sur un plateau désertique de 1140 mètres d'altitude sur l'une des rives du Rio Grande, l'autre rive étant occupée par la ville mexicaine de Ciudad. Cela rappelle que dans un passé pas si lointain cette région faisait encore partie du Mexique. De nombreux westerns évoquent cette histoire turbulente entre les deux pays mais aussi le passé sulfureux de la ville. A commencer par le film réalisé par Lewis Foster en 1949 sous le titre évocateur de El Paso, ville sans loi, interprété par Sterling Hayden, le futur Johnny Guitar. Autre légende du western, Randolph Scott tient le rôle principal dans le film de Budd Boetticher Les aventuriers du Texas tourné en 1958.
Pour les décors de son film Et Pour quelques dollars de plus censé se dérouler à El Paso, Sergio Leone décide avec son producteur Grimaldi, de faire construire en Espagne près d'Almeria, une réplique de la ville. Depuis, ces studios se sont appelés El Paso, mini Hollywood et bien des westerns italiens y ont été tournés, dont Les quatre mercenaires d'El Paso d'Eugenio Martin, dans lequel apparaissaient en 1971, Lee Van Cleef et Gina Lollobrigida.
D'El Paso on prend la High Way pour remonter le long du Rio Grande vers Las Cruces où l'équipe du film de Bouchareb réside. Las Cruces est la deuxième ville du Nouveau Mexique. Elle est restée célèbre par le procès qui, en 1881 a vu Billy le Kid condamné à la pendaison avant de s'enfuir de sa prison. Il sera abattu par Pat Garrett. Cette histoire inspira bien des films devenus de grands classiques, dont Billy le Kid de King Vidor (1930), Le Gaucher» d'Arthur Penn, Juge et Hors la loi de John Huston (1971) ou encore Pat Garrett et Billy le Kid de Sam Peckinpah.
Depuis plusieurs semaines, le tournage de Enemy Way se déroule tout près de là, à Deming précisément, où le paysage et le climat désertiques rappellent des contrées de la steppe algérienne, en bordure du Sahara. C'est d'ailleurs dans cette région de Los Alamos que les Américains avaient testé en juillet 1945 leurs premières bombes atomiques, quelques semaines avant la tragédie d'Hiroshima et de Nagasaki.
J'arrive juste à temps pour assister à la dernière scène du film tournée dans une petite mosquée prêtée à la production pour l'occasion par la communauté musulmane de la ville. On y voit le grand Forest Whitaker (Garnett dans le film) assister à la prière en compagnie d'un groupe de musulmans américains. A l'issue de la prière, on voit Garnett dans un coin de la mosquée en proie à de forts tourments causés par le harcèlement du sheriff à son encontre. Cet homme a passé dix-huit ans en prison où il s'est converti à l'Islam pour juguler la violence qui l'avait poussé à commettre très jeune des crimes terribles. Libéré sur parole, il se prénomme à présent Djihad et ne cherche, avec l'aide de l'agent Smith (Brenda Blethyn) qu'à retrouver la paix avec lui-même et avec la société. C'est sans compter avec le sheriff Bill Agati (Harvey Keitel). Ce sheriff est une espèce de George Bush haineux, paranoïaque et va-t-en guerre contre tout ce qui est différend de lui, en particulier les musulmans et, en ce comté du Nouveau-Mexique proche de la frontière mexicaine, contre les émigrés qui tentent de passer le mur qui les sépare des Etats-Unis. Ne voyant en Djihad qu'un criminel doublé d'un terroriste musulman, il se met à le persécuter sans relâche.
Ainsi, Rachid Bouchareb a tenu à intégrer dans ce neuvième long-métrage deux thèmes qui lui tiennent à coeur en tant que réalisateur algérien: l'islamophobie (qu'il a déjà évoquée dans London River) et la question de la persécution des émigrés. Pour écrire ce scénario (librement adapté de Deux hommes dans la ville réalisé en 1973 par José Giovanni), il s'est entouré non seulement de son complice habituel, le talentueux Olivier Lorelle, mais aussi (et c'est une première) de notre compatriote et brillant écrivain Yasmina Khadra. Tous ces signes d'attachement à ses sources identitaires justifient amplement le fait que l'Algérie, à travers l'Agence de rayonnement culturel, s'associe à cette coproduction algéro-américano-britannique.
(A suivre)


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