Le carnage commis en Espagne, ne porte pas l'empreinte de cette nébuleuse, mais il en a les mêmes sanglantes conséquences. Eta, Al-Qaîda, groupes hétéroclites situés à mi-chemin entre ces organisations terroristes ? Qui est derrière l'horrible carnage qui a endeuillé l'Espagne, et le monde entier, ce jeudi. Si l'ETA a immédiatement été désigné du doigt par les autorités madrilènes, cela répondait juste à une volonté de récupérer politiquement ce drame, à trois jours d'une élection déterminante pour l'avenir politique de l'un des plus fidèles alliés de Bush, Aznar. Al-Qaîda, dérogeant à ses règles de conduite habituelle, a immédiatement revendiqué les attentats. Cela a eu lieu dans une lettre publiée en exclusivité par le journal Al-Qods Al-Arabi, paraissant à Londres. Les escadrons de la mort d'Abou Hafs Al-Masri, qui avaient déjà revendiqué dans le même média les attentats commis à la fin de l'année passée contre deux synagogues en Turquie et le QG de l'ONU à Bagdad, se montrent formels dans leur lettre. «Nous avons réussi à pénétrer au coeur de l'Europe des croisés et avons frappé l'une des bases de l'alliance». Les auteurs de ce courrier, qui annoncent des attentats en voie de finalisation aussi bien aux Usa qu'en Italie, ajoutent que les actes commis en Espagne «s'inscrivent dans le règlement de vieux comptes avec (ce pays), croisé et allié de l'Amérique dans sa guerre contre l'islam». Le directeur de ce journal, Abdelbari Atwan, a souligné, sur Sky News, que le style correspond à celui d'Al-Qaîda. L'attentat qui vise l'Italie s'appelle la Fumée noire alors que celui qui concerne les USA est dénommé le Vent de la mort. Des indications qui prêtent à penser qu'Al-Qaîda pourrait utiliser des armes chimiques dans ses prochains attentats puisque les opérations espagnoles étaient dénommées «le Train de la mort». Alors que presque tous les médias du monde, israéliens, anglais, américains, grecs, arabes, et même espagnols, privilégiaient cette piste, Cheikh Omar Bakri, abondait hier dans le même sens. Le leader de l'association radicale, Al-Mouhadjiroune, réfugié à Londres et connu pour être un proche des réseaux dormants d'Al-Qaîda, a indiqué que «le modus operandi fait penser à celui d'Al-Qaîda». Cheikh Bakri, qui ajoute ne pas être surpris par le choix de la cible, rappelle que «dans le message diffusé la mi-octobre de l'an dernier par Ben Laden, il désignait l'Espagne parmi les ennemis à frapper en Irak ou chez eux». Pour ce qui est de la méthode, il faut dire que même si le choix des carnages et des attaques des populations civiles correspond parfaitement aux options d'Al-Qaîda, il en va tout autrement pour ce qui est du mode opératoire. Ainsi en est-il, comme le révèlent les premiers éléments de l'enquête, du fait qu'il ne s'agit pas d'attentats suicide. Idem pour le choix de l'explosif. Jean-Luc Marret, chercheur à la fondation pour la recherche scientifique, souligne qu'Al-Qaîda utilise le nitrate d'ammonium ou le Tatp dans ses attentats. Quant à l'ETA, ce sont surtout des explosifs volés à deux reprises en France, il s'agit d'explosifs de démolition et de dynamite, ceux-là mêmes qui ont servi dans les attentats de ce jeudi. Ces terroristes, obéissant au mode opératoire classique des éléments de l'ETA, ont dissimulé les charges et les détonateurs dans de simples sacs à dos de 8 à 10 kilos. Dans ce cadre précis, et au regard de l'interpellation des principaux dirigeants connus et bien formés de l'ETA, il a pu se créer une sorte de jonction entre de jeunes et turbulents éléments de cette structure terroriste et Al-Qaîda. Cela expliquerait que la façade politique du mouvement indépendantiste basque démente avec autant de vigueur toute implication dans cet horrible carnage. Cela expliquerait surtout pourquoi une camionnette volée, contenant des détonateurs et une cassette coranique, a été retrouvée à Alcala de Henares, ville de laquelle ont démarré les trains visés par les attentats. A la lumière de ce carnage, quel qu'en soit l'auteur du reste, il devient de plus en plus évident que les réseaux terroristes islamistes ont bien établi leurs quartiers en Espagne depuis les attentats de Casa en mai 2003. Les services secrets espagnols, Cesid et CGI, avaient craint un attentat de cette envergure depuis cette date puisque l'infiltration avait commencé depuis une quinzaine d'années. Dès 1997, une quinzaine de militants islamistes avaient été interpellés à Valence et à Barcelone pour leur soutien logistique aux terroristes algériens. Profitant de la lutte acharnée menée contre l'ETA, ces groupes ont prospéré et gagné beaucoup de nouvelles recrues dans les milieux émigrés et défavorisés. Le juge d'instruction Baltazar Garzon, a enfoncé le clou en 2002 en révélant l'existence d'un réseau qui aurait contribué à la préparation des attentats du 11 septembre, et qui aurait même accueilli momentanément le chef de ce commando, Mohamed Atta. Dans le courant de la même année, on parle d'une entrée massive en Espagne d'éléments du Gspc, fuyant l'Algérie, et tentant de mettre en place des réseaux rayonnant sur toute l'Europe. Ainsi, au mois de février passé, deux Algériens, soupçonnés de confectionner de faux passeports, avaient été interpellés à Murcie, province d'Alicante.