Tout laisse supposer que l'on s'achemine vers une prise en compte de l'implication du terrorisme islamiste dans la tragédie de Madrid. Triste scrutin électorale pour le président du conseil espagnol sortant, José Maria Aznar, qui a vu en quelque minutes s'effondrer toute l'architecture qu'il a mis en place lors des deux mandats à la tête du gouvernement espagnol. On comprend que le gouvernement Aznar s'accroche désespérément à la piste ETA qui, dans cette ambiance électorale, serait un moindre mal, car elle confirmerait surtout la fermeté dont a fait preuve l'équipe Aznar face aux séparatistes basques. Or, une toute autre hypothèse et, a fortiori, islamique serait catastrophique pour le Parti populaire du nouveau secrétaire général, Mariano Rajoy, successeur de M Aznar à la tête du PP (au pouvoir) et, vraisemblablement à celui du gouvernement, en cas de victoire aux législatives qui ont eut lieu hier. En fait, lors de la campagne électoral, José Maria Aznar s'est efforcé de faire oublier au peuple espagnol la responsabilité qu'il a pris d'engager l'Espagne dans la guerre en Irak, alors même que l'immense majorité des Espagnols s'y opposait. Les attentats de jeudi et le fait que la piste Al Qaîda se précise de plus en plus, mettent l'équipe du gouvernement Aznar, dans une situation des plus aléatoires. D'où les efforts de la droite espagnole au pouvoir d'impliquer coûte que coûte l'ETA, seule possibilité, en fait, de survie du Parti populaire à la tête de l'Etat. De fait, hier au sortir des urnes, José Maria Aznar chahuté par des manifestants très remontés contre sa politique, qui apparaît aujourd'hui comme suicidaire, était au bord des larmes. Une politique étrangère marquée par le soutien sans nuance apporté à l'administration Bush dans la guerre qu'elle fomenta en Irak. Les attentats de Madrid ont-ils un lien avec l'engagement de l'Espagne aux côtés des Etats-Unis en Irak? C'est une possibilité qui ne peut plus être aujourd'hui écartée d'autant plus qu'il a été trouvé, dans les parages d'une mosquée à Madrid, une cassette dans laquelle Al-Qaîda, revendique le massacre d'Attocha et des autres gares madrilènes, faisant référence au soutien espagnol aux Etats-Unis. Toutefois, pour sans doute sauver ce qui peut l'être encore, Mme Ana Palacio, ministre espagnoles des Affaires étrangères, persiste à croire que l'ETA demeure, selon elle, la seule piste crédible, même si elle admet qu'il ait pu avoir une «coopération» entre les deux organisations terroristes basque et islamiste, l'ETA et Al-Qaîda. Ainsi, indique-t-elle à la BBC-TV, en réponse à une question formalisant cette possibilité, «Je dirais que tout est possible dans ce monde de ténèbres. Je ne sais pas comment ils (les terroristes) agissent mais c'est bien sûr une possibilité», maintenant, toutefois, qu'une forte présomption pèse sur l'organisation basque, précisant «L'idée que l'ETA est derrière (les attentats de Madrid) demeure forte dans cette enquête, même si depuis le début, nous avons examiné toutes les autres possibilités». Certes, mais en continuant à toujours privilégier les piste ETA la mieux-disante pour le gouvernement Aznar. En réalité, le gouvernement Aznar cherche par tous les moyens à se disculper en tentant de montrer qu'il n'y avait pas forcément de lien entre son intervention en Irak, aux côtés des Etats-Unis et les attentats de jeudi qui ont endeuillé l'Espagne. Ainsi, Mme Palacio affirme «N'oublions pas que d'autres pays qui ont eu une approche très différente face à cette crise (guerre en Irak), comme le Maroc, l'Indonésie et la Turquie, ont été (eux aussi) la cible du terrorisme». Ce qui reste en vérité peu convaincant du fait que le gouvernement Aznar fait la politique de l'autruche, ne veut pas voir la réalité complexe, certes, des relations internationales et les interactions entre les positions des uns et des autres dans une Terre devenue village planétaire et ou personne ne peut ignorer cette réalité ou échapper à ses actes. Le drame de notre monde contemporain est qu'il est arrivé un moment où les Etats-Unis, qui ont élevé l'unilatéralisme à la forme suprême des relations internationales, ont mis partenaires et alliés devant cette injonctions: ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous. Beaucoup de pays mis devant ce fait accompli n'ont eu, à l'instar de l'Espagne, d'autre choix que de se plier. Ce que d'ailleurs confirme l'ancien chef des inspecteurs en désarmement de l'ONU, Hans Blix, selon lequel «Le fait est que la guerre à l'Irak après le 11 septembre, voulue par les Etats-Unis, n'a pas arrêté le terrorisme dans le monde. Au contraire, le résultat de la poigne de fer a été de lui donner une impulsion», insistant, «Avec la guerre préventive unilatérale, les Etats-Unis ont violé les principes internationaux pour montrer leur force au monde islamique après le 11 septembre, et ce faisant, ils ont affaiblit l'ONU». Aussi, selon l'expert suédois, «Il est clair désormais que le terrorisme ne doit pas être affronté uniquement avec des mesures répressives mais aussi avec la compréhension de ses causes les plus profondes». De fait, la cassette-vidéo revendiquant les attentats de Madrid lie directement cette action au soutien apporté par l'Espagne aux Etats-Unis. Ainsi, après les brigades «Abou Hafs Al-Masri», qui revendiquèrent les attentats dans la soirée de jeudi, la cassette trouvée près d'une mosquée de la capitale espagnole est plus précise et explique les causes de cette opération. Selon le ministre espagnol de l'Intérieur, Miguel Angel Acebes, «Un homme habillé comme un arabe, parlant avec un accent marocain a revendiqué au nom du porte-parole militaire d'Al Qaîda en Europe, Abou Doukhan Al Afghani, les attentats» de jeudi, qui ont fait 200 morts. Le même jour, le ministre espagnol avait annoncé l'arrestation de cinq suspects, trois Marocains et deux Indiens, soupçonnés, selon M.Acebes, de «vente et de falsification de puce» du téléphone portable retrouvé dans un sac abandonné contenant une bombe qui n'a pas explosé lors des attentats de jeudi. Le ministre espagnol indique en outre que «Certains pourraient avoir des relations avec les groupes extrémistes marocains», déclarant en revanche qu'il n'a pas été possible, pour le moment, d'établir l'identité du porte-parole militaire d'Al-Qaîda dont fait état la cassette. Mais, indique-t-il, «nous poursuivons (...) en collaboration avec diverses polices et services de renseignements pour déterminer si cette personne existe». Ainsi, la piste Al-Qaîda semble se préciser, mais il est cependant un peu tôt pour conclure dans un sens ou dans un autre, sur les auteurs du carnage de Madrid.