L'image est tronquée, seuls le fanatisme et l'intolérance ont droit de cité. Pour la première fois dans sa longue histoire, le Collège de France - fondé en 1530 - va recevoir un intellectuel algérien. Mustapha Chérif, ancien ministre de l'Enseignement supérieur, ancien ambassadeur d'Algérie en Egypte, professeur de philosophie politique à l'université d'Alger, y a été invité pour y donner deux conférences le mercredi 24 mars et le jeudi 1er avril à 17 heures à l'amphithéâtre Marguerite de Navarre. Au-delà de toute la charge symbolique que l'on peut prêter à cet événement, les thèmes développés par Mustapha Chérif ne vont certainement pas manquer de retenir l'attention de l'élite intellectuelle française. Jugez-en: «L'Islam et le rapport à l'autre», d'abord, ensuite, «Le monde musulman et la mondialisation». En Islam, la relation à l'absolu domine de très loin, de très haut pourrait-on dire. C'est sans équivoque. Dieu est transcendantal et proche à la fois, il ne faut pas y voir de paradoxe, le musulman lui n'en voit pas. La puissance de la troisième religion monothéiste est sans doute ce lien intime qui s'établit entre Dieu et l'individu sans recours à un quelconque intermédiaire. C'est là l'une des évolutions essentielles apportées par l'Islam au culte du Dieu unique. Par essence, l'Islam est donc anticlérical puisqu'il refuse toute forme de clergé au sens chrétien et judaïque. Ni prêtres ni rabbins, seuls les exégètes, les imams, ont le rôle les uns d'interpréter, les autres de former, mais aucunement celui d'intercéder auprès du Tout-Puissant. Aujourd'hui particulièrement et hier encore, l'image de l'Islam subit toutes les déformations, toutes les falsifications possibles, autant en terre d'Islam qu'ailleurs. L'image est tronquée, seuls le fanatisme et l'intolérance ont droit de cité, et disons-le franchement, bien des musulmans ont un sérieux problème avec le droit à la différence. D'où le choix du premier sujet de Mustapha Chérif, lequel répondra aux questionnements de son auditoire : que dit le Coran, que dit le Prophète? Les penseurs musulmans ont-ils «pondu» des écrits sur la question de ce rapport avec l'autre, de l'altérité? Il s'agira en somme d'une analyse de la théorie, de la réflexion et de la pratique. Le second sujet qui sera abordé au Collège de France devant le dessus du panier hexagonal, pose le problème du rapport à la modernité, au sens noble du terme. Le musulman apparaît comme opposé à tout ce qui est moderne. C'est là une autre image. Devant le nouvel ordre mondial auquel personne ne saurait, échapper serions-nous une arrière-garde de mauvais résistants? L'Islam n'est pas incompatible avec le développement, avec la modernité, et nous avons nos propres valeurs qui doivent peser dans le nouveau rapport de force qui est en train de s'établir. «A l'heure des ingérences occidentales dans les pays musulmans- ingérences guidées par leurs seuls intérêts - c'est à nous de changer de l'intérieur», nous dira Mustapha Chérif. Il s'agit ni plus ni moins du devenir du monde musulman et de sa relation avec l'Occident. Ces conférences tombent à pic dans une conjoncture où l'on tente de faire passer l'Islam non pas pour un élément de l'axe du mal mais pour son épicentre. Ce n'est pas en terre d'Islam que sont nés le colonialisme, le nazisme, l'antisémitisme, le stalinisme et on en passe. Jouer les pompiers au coeur d'une forêt immense aux racines imprégnées puis infusées dans un bouillon de culture ségrégationniste, accru par la force dévastatrice de l'amalgame, entouré d'incendiaires de tous poils, sera pour le moins délicat. Voilà la situation rendue en métaphores.