La campagne électorale est en passe de boucler sa deuxième semaine. Annoncée sale et sans scrupules, elle prend les allures d'une véritable foire à empoigne où l'éthique est foulée aux pieds sans ménagement. «L'essentiel pour moi est de vendre mon candidat, les autres je n'en ai cure», semble être la devise de cette opération de séduction, menée en direction d'un électorat furtif que, ni les programmes des candidats, ni les appels du pied, ne semblent encore emballer. Oran et la région ouest sont prises aussi de cette frénésie électorale. C'est l'occasion de tirer les oreilles du maire de la localité, de lui faire payer ses silences, ses dérobades devant les cris de détresse des habitants de sa localité. On soutient son adversaire, on déroule devant lui le tapis rouge, question de mettre le doigt dans l'oeil du maire, du chef de daïra ou encore du wali. Sans conviction politique, mais avec un réel plaisir, on se déclare pour tel ou tel autre candidat pour mettre en rogne l'élu local qui s'est tu pendant son mandat, avant de découvrir, ces derniers temps, que pour protéger ses privilèges, il doit descendre dans l'arène pour promettre, faire miroiter un avenir meilleur à ses concitoyens qu'il ne considère que comme la somme d'une opération arithmétique, quand il s'agit de faire le décompte des voix le jour du scrutin. Et ça compte dans la carrière politique de se targuer d'avoir fait voter son douar pour le président élu. Les petits bourgs et même les lieudits se sont mis à l'heure de la campagne. Des coins reculés, oubliés dans les programmes locaux de développement sont devenus, par la grâce de la campagne, des passages obligés pour les élus locaux. Kehaïlia, qui a replongé dans l'anonymat de l'oubli après la fièvre de la peste bubonique, est devenue un lieu de pèlerinage. Des convois chargés de partisans de candidats redécouvrent les pistes qui mènent vers cette localité qui a renoué avec ses ordures et ses jeunes avec leur malvie. «Kehaïlia doit voter pour un tel, parole d'élu», est la devise des édiles locaux partagés entre Benflis, Bouteflika, Djaballah ou encore Louisa Hanoune. Les habitants de Kehaïlia n'avaient pas vu autant de voitures, depuis la visite de la délégation de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), venue chasser les derniers rats qui n'avaient pas fui les lieux. Les petits douars perchés sur la montagne qui borde la route de la corniche découvrent avec joie que la «houkouma» ne les a pas oubliés, qu'ils comptent encore pour elle. Chaque jour que Dieu fait, c'est un flot de responsables qui se déverse sur ses amas de taudis, promis à l'éradication chaque début d'année. Ici les troupes de Djaballah, favorisant un travail de proximité, sont allés glisser des prospectus sous les portes des maisons. Ils ont envoyé leurs militantes à l'assaut des hammams et procédé à des distributions de vivres et d'aides aux nécessiteux. «A chacun sa méthode. Pour Djalballah, ce sont les petites gens qui comptent, pour les autres c'est le prestige, le confort des bureaux et celui de l'argent qui prime», dira un partisan du candidat du parti El-Islah. Kherrouba, une excroissance qui colle grossièrement au village de Hassi Bounif, vit, elle aussi, la campagne à sa manière. Le bidonville, plongé dans l'horreur en 1997, quand des terroristes y avaient fait une descente pour massacrer 13 citoyens, accueille chaque jour des représentants de candidats, venus vanter les programmes de leurs mentors. Les habitants, avec un regard nonchalant, préfèrent recevoir des promesses qui seront tenues plutôt que de subir des logorrhées auxquelles ils ne comprennent que dalle. «Nous avons des problèmes, le douar doit être restructuré et urbanisé. Nous voterons pour celui qui s'engagera à améliorer notre vécu dans cette colline qui ne dispose même pas de voies d'accès. Les représentants du président-candidat sont venus nous répéter leur discours de 1999, et ceux de Benflis sont venus nous promettre la lune. Ceux de Djaballah nous ont renvoyés à une époque qu'on croyait révolue, et ceux de Hanoune ont tenté de nous vendre le rêve. Qui croire?», dira un habitant, victime du terrorisme. La campagne s'étire en longueur et les dérapages sont devenus sa caractéristique. Dans les douars reculés d'Oran, on préfère subir les discours des uns et des autres et réserver sa préférence à celui qui saura prendre en charge leurs préoccupations. Dans l'isoloir, ils se retrouveront devant un dilemme, mais tous sont d'accord pour dire que ce jour-là, ils sauront pour qui voter et qui sanctionner.