Le document du FIS met les six candidats face à l'attente des islamistes. Les leaders du FIS dissous par voie de justice le 4 mars 1992, ne se sont pas encore mis d'accord sur un choix définitif concernant l'élection présidentielle du 8 avril. Cependant, ils ont lancé, hier, un appel à l'ensemble de la classe politique en général et aux six candidats à la présidentielle en particulier, les soumettant à un «véritable questionnaire» avant de cautionner l'un ou l'autre des «présidentiables». Le document est signé par six chefs du FIS dissous : Abassi Madani, Abdelkader Boukhamkham, Ali Djeddi, Kamel Guemazi, Omar Abdelkader et Mourad Dhina. Ali Benhadj soumis aux «dix interdits», toujours en vigueur, n'a pas apposé sa signature au bas du document, mais on devine qu'il a été le véritable architecte de cette prise de position. Le document commence par une précision de taille: tous ceux qui se sont prononcés en faveur de tel ou tel candidat, n'expriment en fait que leur avis personnel. Quant à la position de l'ex-FIS, elle sera déterminée, précise le document, par la réponse que donneront les six candidats aux interrogations légitimes que se pose le peuple algérien musulman. Ces interrogations sont au nombre de six. La première concerne la position des candidats vis-à-vis de la religion, la langue arabe, la langue amazighe et l'unité nationale. L'autre souci des leaders de l'ex-FIS concerne le respect des libertés dans les domaines politique, social, médiatique et caritatif, le respect de la citoyenneté et des droits de l'Homme. Une troisième question fait un retour sur 1991 et demande la levée de l'état d'urgence, la libération des prisonniers politiques, la réinsertion des travailleurs licenciés lors de la grève générale de mai-juin 1991, la prise en charge du dossier des disparus et de celui des victimes de la tragédie nationale et, enfin et surtout, la levée des restrictions politiques qui touchent les leaders du parti. Les questons 4, 5 et 6 concernent la protection des ressources naturelles et l'économie nationale, la précision exacte, claire et sans détour de ce que les candidats entendent par «réconciliation nationale», l'éventualité d'organiser un congrès national sur la concorde civile qui réunirait les partis et les personnalités aptes à apporter des éclairages sur la question de la réconciliation et enfin, les mesures qui seront prises pour garantir les choix politiques du peuple. Le document n'omet pas, non plus, de demander à ce que l'armée se conforme à ses missions constitutionnelles. Les réponses qui seront apportées par les six candidats vont déterminer la position de l'ex-FIS. Les dirigeants du Front islamique du salut, dissous depuis le 4 mars 1992, restent à ce jour, soumis à des restrictions draconiennes, notamment, Ali Benhadj, le n°2 et gourou de la jeunesse islamiste. Interdits d'activité politique, mais tolérés par les autorités, les leaders de l'ex-FIS gardent encore des attaches solides au sein de la population et possèdent une influence certaine sur la mouvance islamiste des quartiers populaires. Le présent document est en fait, un appel lancé au président de la République Abdelaziz Bouteflika pour qu'il assouplisse sa politique vis-à-vis de l'ex-FIS. Bien qu'Abdellah Djaballah soit présent parmi les candidats, c'est Bouteflika, et Bouteflika seul qui est interpellé par cet appel du pied. Initiateur de la concorde civile, il a donné une couverture juridique aux «trêvistes» de l'AIS et aux repentis. Mais depuis trois ans, sa politique de réconciliation «traîne en long et en large», selon les dirigeants de l'ex-FIS. En fait, le président de la République peine à aller plus loin dans un contexte politique dominé par le «tout-sécuritaire» et le maillage sécuritaire dont fait l'objet la mouvance islamiste. Celui qui avait qualifié l'arrêt du processus électoral de «première violence de l'Etat» a appris, cinq ans plus tard, à être plus ambigu et moins audacieux.