N'en déplaise aux tartuffes, ce film dénonce l'hypocrisie sociale de notre pays... «Le cinéma, c'est l'art du caché. Je me suis inspiré de la chanson populaire comme le raï, qui est la musique des marginaux. J'ai mis quatre ans pour faire ce film, non pour représenter un pays. Ce n'est pas un porte-drapeau, mais pour montrer le quotidien des gens, l'humanité. Je ne fais pas de propagande...», a confié l'auteur et réalisateur, Nadir Moknache à côté d'une Biyouna rayonnante lors de l'avant-première du film Viva laldjérie, sorti samedi dernier à la salle l'Algéria. C'est la seconde fois que Beyouna joue dans un film de Moknache (son deuxième lui aussi après Le Harem de Madame Osmane). Ce cinéaste semble surfer sur la nouvelle vague du cinéma algérien. Celui-ci qui s'emploie à montrer une certaine «vraie» image de l'Algérie d'aujourd'hui en rupture avec le cinéma étatique. Viva laldjérie est une fiction qui, néanmoins, s'inspire de faits réels. «J'ai connu ces deux femmes. Ce n'est pas moi qui ai tué la prostituée, mais c'est la société qui l'a condamnée», affirme Nadir Moknache. Viva laldjérie c'est l'histoire de trois femmes pas ordinaires dans une société bâtie sur des tabous. Alger, hiver 2003, une mère, surnommée la Papicha, ancienne danseuse de cabaret, alias Biyouna, sa fille, Goucem est interprété par Lubna Azabal qui mène une double vie (le jour et la nuit) et la prostituée, Fifi alias Nadia Kaci, se sont réfugiées depuis le début des violences terroristes dans un hôtel du centre-ville après avoir fui leur village à Sidi Moussa. Goucem, 27 ans, travaille chez un photographe et se fait «entretenir» par un médecin marié, qu'elle fréquente depuis trois ans. Ce dernier lui fait croire qu'ils vont se marier... Des balivernes bien sûr. Mais en attendant, Goucem part rechercher «l'amour» dans les chaudes boîtes de la capitale et se fait draguer par Samir qui traîne au port et à l'entrée d'une discothèque, rêvant à une meilleure vie outre-mer. Fifi, l'amie fidèle, la seule de Goucem, se prostitue sous l'aile protectrice d'un gars de la sûreté nationale. Une relation qui lui sera fatale...La mère vit dans son passé non sans crainte. Sa nostalgie de son ancienne vie de danseuse au Copacabana lui fait réendosser le costume de scène, mais cette fois-ci en tant que chanteuse pour les malheureuses. C'est là où l'on retrouve cheb Abdou, le plus «extravagant» des chanteurs raï. Et pour compléter le tableau de cette «cour des miracles», un homo qui se trouve être le fils de l'amant de Goucem... «J'ai travaillé sur les marginaux», souligne Moknache. On ne peut qu'acquiescer. Cependant, ce que le film a gagné en crédibilité, il l'a perdu à vouloir montrer, en se focalisant «que» sur ça. Aussi, au-delà de quelques maniérismes et certaines images qui tirent en longueur, le film a le mérite de nous livrer à nous-mêmes, face à nos angoisses, le non-dit est devant nous, on ne peut y échapper. Sa force réside dans cette dénonciation de l'hypocrisie sociale qui prévaut dans les sociétés dites «arabo-musulmanes». Viva laldjérie a eu sans doute la prétention de dire que la détresse humaine n'a pas de nationalité, mais elle est universelle. Dans ce cas, on se met à penser à La vie rêvée des anges... Saisissante, surprenante mais encore touchante est Biyouna, majestueuse dans son rôle de femme éplorée, noyant son chagrin dans un verre de whisky en fredonnant Mate Djabdouliche de cheba Djanet, à vous faire échapper une larme sans vous en rendre compte. Et quand la «comique de service» se met à vous émouvoir, il y a de quoi se poser des questions. Cela s'appelle tout simplement du talent. Entre modernisme et conservatisme, le film de Nadir Moknache lève le voile sur une société qui se cherche et qui n'a pas fini de régler ses comptes avec elle-même d'où ces séquences d'affrontement, ces «je t'aime, moi non plus», propres à l'individu au demeurant, traduisent ici tout le désarroi d'une société en mal d'être, qui se construit une nouvelle identité car la sienne, fragile s'est brisée... Résister dans ce cas, s'apparente à un vain combat, perdu d'avance...Sans juger, ce film donne à voir, par des images quelquefois choquantes certes, mais qui traduisent bel et bien un vécu réel, n'en déplaise aux «tartuffes» ! On aurait juste aimé faire sonner à notre oreille un peu de notre langue «algérienne». Nous aurions préféré que les acteurs parlent en arabe plutôt qu'exclusivement en français. Mais la production franco-belge du film en a voulu autrement. «Apprendre à Nadia Kaci et Lubna Azabale à parler arabe, aurait demandé beaucoup de temps et donc beaucoup de moyens», nous a-t-on expliqué. Un budget qu'on a préféré ne pas dépenser. Et Nadir Moknèche d'ajouter : «C'est pour qu'il soit vu partout...». Enfin, le film ayant bénéficié de l'aide du Commissariat algérien de l'Année de l'Algérie en France et du ministère de la Culture et de la Communication ainsi que du soutien du programme Média de l'Union européenne, sortira en France le 7 avril et sera distribué dans plusieurs salles à raison de 70 copies.