Les six candidats à l'élection du 8 avril sont partagés par rapport à la levée de l'état d'urgence. L'urgence d'un Etat fort, respectueux des droits de l'homme, des libertés et consacrant la séparation entre les pouvoirs, passe incontestablement - la classe politique est unanime à le revendiquer - par la mise en place des mécanismes adéquats, dont la levée de l'état d'urgence constitue la pierre angulaire. Promulguée par décret le 9 février 1992, juste au lendemain de l'arrêt du processus électoral de décembre 1991, cette mesure, au demeurant exceptionnelle, en vertu de la Constitution du 23 février 1989 qui prévoit une durée «déterminée» a plutôt tendance à s'éterniser sous prétexte de la lutte antiterroriste et de la «préservation de l'ordre public». Ce qui, chez certaines formations politiques, notamment les signataires du contrat de Rome, dont deux (Louisa Hanoune et Abdallah Djaballah) se sont portés candidats à la prochaine élection présidentielle est synonyme de restriction des libertés, de mise au pas des partis politiques et de bâillonnement de la liberté d'expression. En effet, depuis sa mise en oeuvre, l'état d'urgence est l'argument brandi par les pouvoirs publics pour justifier la fermeture des champs politique et médiatique. D'ailleurs, la suspension de certains organes de presse, l'interdiction des manifestations publiques et le refus d'agréer certaines formations politiques - l'exemple de Wafa et du FD faisant foi - sont faits conformément aux articles 3 et 7 du décret du 9 février 1992. Par ailleurs, même si le ministre de l'Intérieur considère que l'état d'urgence n'entrave pas l'action politique et par conséquent «ne constitue pas la priorité de l'heure», il n'en reste pas moins que la réalité est tout autre. D'après les partis hostiles au maintien de l'état d'urgence, l'impossibilité faite à la société civile de s'exprimer dans un cadre organisé est à l'origine de la montée de la violence dans un certain nombre de régions. Un phénomène accentué par l'absence de moyens de recours auprès des autorités, «plus promptes à manier le bâton que le verbe». Toutefois, les six candidats à l'élection du 8 avril sont partagés par rapport à la levée de l'état d'urgence, même s'ils admettent, du moins dans leurs discours de campagne électorale que le dispositif mis en place est, avec l'amélioration de la situation sécuritaire, plus un moyen de dissuasion et de prévention contre tout « débordement». C'est le cas de Benflis, Djaballah et Louisa Hanoune qui voient en l'état d'urgence un moyen de répression et de «domestication de la classe politique». C'est aussi, note la candidate du Parti des travailleurs, une occasion inespérée pour les gouvernements successifs de démanteler, sans heurts, l'appareil de production et le licenciement de centaines de milliers de travailleurs. Paradoxalement, le candidat Saïd Sadi, tout en dénonçant le harcèlement contre la presse, la confiscation des médias publics et la restriction du champ politique ne s'est pas encore clairement positionné par rapport au dossier de l'état d'urgence. Une attitude, somme toute normale, eu égard à cette tendance chez le parti de Saïd Sadi de réagir à chaque fois en fonction des positions de son frère ennemi, en l'occurrence le FFS, à qui le RCD reproche de vouloir remettre sur selle l'ex-FIS en lui permettant de réinvestir la rue. Ironie du sort, le RCD, après avoir diabolisé la rencontre de Sant'Egidio, qualifiée de réconciliation nationale, prônée aussi bien par les partis dits «réconciliateurs», qu'à travers la loi sur la «rahma», de «trahison» aux victimes du terrorisme, se retrouve en 1999 dans un Exécutif issu de la «dernière fraude du siècle». Un élément qui ne manquera pas de peser de tout son poids jeudi prochain.