Les américains sont sur le point de franchir la ligne rouge en pénétrant dans la ville sainte de Najaf. Tout le laissait croire hier après les confrontations qui ont opposé durant les dernières quarante-huit heures miliciens du chef radical chiite Moqtada Sadr aux forces américaines. De fait, miliciens et marines étaient hier sur le pied de guerre n'attendant semble-t-il que l'occasion, ou l'ordre, d'en découdre. D'ailleurs de violentes explosions ont ébranlé la ville hier, la couvrant d'un immense manteau de fumée selon des témoins. D'autre part, des échanges de tirs entre les belligérants ont été entendus tout au long de la journée d'hier. De fait, la dégradation de la situation est telle, à Najaf et à Kerbala notamment, que les autorités religieuses de Kerbala ont décidé, fait exceptionnel, d'annuler la prière du vendredi. C'est ainsi que cheikh Maïtham Rahi, adjoint de cheikh Abdel Mehdi Al-Karbalaï, collaborateur du grand ayatollah Ali Sistani, a déclaré hier à Kerbala qu' «en raison des conditions inhabituelles, il n'y aura pas de prière du vendredi dans le mausolée de l'imam Hussein». Référence sans doute aux violents combats qui avaient opposé, mercredi, des miliciens à des marines américains, les premiers laissant 22 morts sur le terrain. De même, dix miliciens ont été tués hier lors des confrontations armées entre ces derniers et les forces américaines d'occupation. Si à Kerbala la situation demeure incertaine et tendue, elle est explosive à Najaf et la menace des marines de pénétrer dans la ville sainte chiite n'est pas faite pour apaiser les esprits. Hier les deux parties demeuraient sur leurs positions, s'échangeant des tirs, dans une ville où la population est maintenant aux abois ne sachant plus qui dit vrai dans une guerre où ce sont encore les civils qui en payent le prix fort. Toutefois, un envahissement de Najaf par des forces étrangères risque fort d'internationaliser la crise de la ville sainte, d'autant plus que la plus haute autorité chiite libanaise, Seyyed Mohamed Hussein Fadlallah, tout en appelant les «musulmans du monde» à aller défendre les villes saintes, a mis en garde, hier, à Beyrouth contre tout franchissement de la «ligne rouge» que sont Najaf et Karbala dans la perspective de l'imminence de l'entrée des forces américaines à Najaf. Hier, un proche collaborateur de Moqtada Sadr a lui aussi mis en garde affirmant, dans un prêche à Bagdad, que «si les forces d'occupation entrent à Najaf, nous annoncerons la mobilisation générale pour protéger les lieux saints et notre chef bien-aimé». Toutefois, selon le gouverneur de la province de Najaf, Adnane Al-Zorfi, nommé récemment par la coalition, cette dernière aurait reçu de la part des hautes autorités religieuses de la ville «le feu vert» pour l'entrée dans la ville des forces militaires américaines. M Al-Zorfi a d'autre part indiqué que Moqtada Sadr doit «comprendre» que les Etats-Unis «ne négocieront pas avec lui car ils le considèrent, lui et ses hommes, comme des hors-la-loi». Alors qu'au plan diplomatique les Etats-Unis sont empêtrés dans l'affaire du scandale des sévices infligés aux prisonniers irakiens, au plan sécuritaire, la situation n'a jamais été aussi mauvaise avec la spirale de la violence qui s'est enclenchée depuis plus d'un mois dans plusieurs régions irakiennes. Ce qui a fait évoquer, hier, par l'administrateur en chef américain en Irak, Paul Bremer, la possibilité d'un départ américain, estimant que «si le gouvernement intérimaire (qui sera en charge de l'Irak après le 30 juin) nous demande de partir, nous partirons, mais je ne pense pas qu'il le fera», ajoutant toutefois qu'«il n'est évidemment pas possible de rester dans un pays où nous ne sommes pas les bienvenus». Sur le pied de guerre, Najaf et Karbala risquent bien de changer la nature de l'occupation américaine et de la résistance irakienne à cette occupation.