Quelque peu éclipsée par l'ampleur qu'a pris le scandale des tortures infligées aux prisonniers irakiens, la situation sécuritaire reste explosive. De fait, les combats qui opposent depuis quarante-huit heures, à Kerbala, miliciens de l'Armée du Mehdi du chef radical chiite Moqtada Sadr aux marines américains faisaient rage hier encore. Quoique le combat soit inégal - depuis une semaine près d'une centaine de miliciens chiites ont été tués dont 25 tombés hier à Kerbala - il n'en reste pas moins que les partisans de Moqtada Sadr tiennent tête à des forces américaines supérieures en nombre et en armes. En réalité, très mal engagée, l'occupation de l'Irak par les Etats-Unis et la Grande Bretagne vire peu à peu à la tragédie pour les Irakiens - qui tombent chaque jour sous les exactions et la répression des forces d'occupation - et au cauchemar pour les puissances occupantes enfoncées dans un bourbier qui n'est pas loin de rappeler le Vietnam. Et le scandale des traitements inhumains infligés aux prisonniers irakiens n'est en fait que l'aspect le plus spectaculaire des forfaits que commettent quotidiennement les forces d'occupation dans ce pays qui semble livré à des soudards sans foi ni loi. Il est évident que cette situation appelle à son tour la révolte de la population et induit parfois des dépassements comme celui de l'exécution, mardi, d'un jeune otage américain, kidnappé il y a quelques jours. Cette exécution, qui est condamnable en soi, vient en fait en forme de réponse aux atrocités commises à l'encontre des prisonniers irakiens par les forces d'occupation américaines et britanniques qui, ni l'une ni l'autre, ne sortent grandies de ce qui s'est passé à Abou Ghraib et à Bassorah. De fait, la recrudescence de la violence en Irak fait suite à l'exécution à Falloujah, par des guérilleros irakiens, de quatre Américains appartenant à des organismes sécuritaires, considérés, à ce titre, par la résistance irakienne comme des militaires à combattre. Les représailles engagées le 4 avril par les marines à Falloujah, ont vite tourné à une véritable boucherie accompagnée d'une violence inqualifiable, qui fera plus de 1000 morts et près de 2000 blessés parmi les Irakiens. Il a fallu le retour à Falloujah d'anciens militaires de l'armée irakienne pour assurer la sécurité dans la ville et pour que le calme revienne dans la forteresse sunnite. Ce qui n'est pas le cas dans le secteur chiite englobant les villes saintes de Najaf et de Kerbala où des batailles ponctuelles opposent depuis plus d'un mois les miliciens de Moqtada Sadr aux marines américains. Au moment où l'on se battait à Kerbala, à Najaf, les dignitaires chiites tentaient de trouver une issue tant aux combats entre miliciens et soldats américains, qu'au dilemme que pose Moqtada Sadr lui-même. Selon des sources proches des médiateurs à Najaf, un accord a été obtenu pour mettre fin aux combats. Cet accord, en sept points, qui a reçu l'aval des ayatollahs de Najaf, doit cependant, selon les mêmes sources, être approuvé par la coalition pour pouvoir être appliqué. Trois points de cet accord n'ont pas été rendus publics, mais parmi ceux révélés, il est relevé la demande de transformer l'Armée du Mehdi en parti politique, de surseoir aux poursuites judiciaires engagées par la coalition contre Moqtada Sadr, accusé d'avoir supprimé un adversaire politique, alors que le même Moqtada Sadr se dit prêt à arrêter les combats pour peu que la coalition accepte de négocier avec lui, et que les forces d'occupation soient retirées des abords des lieux saints dans les villes du centre de l'Irak. Alors que l'armée d'occupation américaine est empêtrée dans une tâche de pacification de plus en plus sanglante et problématique, le général Antonio Taguba, qui a enquêté sur les sévices dans les prisons irakiennes, met en cause la chaîne de commandement devant la commission des forces armées du Sénat, indiquant que «c'est un échec du commandement, du commandant de brigade et de ses subordonnés, c'est un manque de discipline, de formation et de supervision». Même si le général Taguba essaie de faire comprendre que cela n'est «apparemment pas» une politique de la haute hiérarchie, n'en affirme pas moins que «ces abus ne pouvaient pas être des actes spontanés de militaires de base», soulignant «ils ont clairement été ordonnés par d'autres». Le drame de l'occupation américaine est le fait que les photos qui ont été rendues publiques et ont tant bouleversé le monde sont en fait des photos «soft», alors même que celles censurées, vues par les seuls responsables de l'administration Bush, ont révolté outre Bush lui-même, son vice-président Dick Cheney, qui déclarait à une chaîne de télévision américaine: «C'est très dur. Il y avait clairement des gens là-bas se livrant à des actes choquants». En effet, en Irak, ce n'est pas encore le Vietnam, mais les exactions des soldats des forces d'occupation, les permissivités, ou laxisme, dont ils bénéficient, font qu'on n'en est plus très loin.