Les combats qui font rage à Falloujah semblent avoir donné le top à la vraie guerre en Irak. Depuis lundi, la ville de Falloujah, à l'ouest de Bagdad, au coeur du triangle sunnite, est le théâtre de combats acharnés entre les résistants sunnites irakiens et les marines américains qui ont lancé une grande opération de «nettoyage» pour, indiquent des sources militaires américaines, retrouver «les responsables» du meurtre, quelques jours plus tôt de quatre Américains. Des avions et des hélicoptères de combat sont ainsi mis à contribution par l'armée américaine. Les Américains ne font pas de quartier, ni de distinction entre la population civile et les hommes armés en bombardant la ville à tout va, ne respectant ni lieu de culte, ni édifices publics, créant une véritable terreur parmi les habitants. De fait, la population de Falloujah a commencé hier à déserter la ville dans de longues cohortes rappelant les files de triste mémoire de la Seconde Guerre mondiale quand les gens fuyaient les lieux de combat. Selon un responsable de la municipalité de Falloujah, qui s'exprimait dans une déclaration à la chaîne satellitaire Al Jazira, les avions américains «ont lancé des tracs demandant aux citoyens de ne pas abriter les rebelles et de quitter la ville». Ce responsable appelle le «monde entier pour faire pression sur les Américains afin qu'ils arrêtent les massacres dans la ville et permettent d'enterrer les morts et de soigner le grand nombre de blessés». En fait, pris d'une véritable folie meurtrière, les marines américains sont en train de commettre, outre d'affreux carnages, un vrai crime de guerre à Falloujah où, dans la seule journée de jeudi, il a été comptabilisé plus de trois cents morts. Un an, jour pour jour, après la prise de Bagdad, les forces américaines d'occupation se trouvent en fait confrontées à la vraie guerre d'Irak, avec les insurrections simultanées des sunnites et des chiites, les deux ethnies pivot du peuple irakien. En réalité la situation sur le terrain a totalement changé entre avril 2003 et avril 2004. L'an dernier l'armée irakienne de Saddam Hussein a refusé l'engagement, laissant les troupes américaines investir la capitale sans combattre. Aujourd'hui, les choses ne sont plus les mêmes et les troupes américaines font face à des milices chiites et sunnites déterminées à se battre plongeant, en fait, depuis une semaine, le centre de l'Irak dans le chaos, donnant de jour en jour de la consistance à un bourbier «vietnamien» qui se précise de plus en plus pour les forces d'occupation américaines. Les soldats américains ont certes réoccupé hier la ville de Kout, (sud de Bagdad), reprise aux miliciens chiites de l'Armée du Mehdi, mais cela indique surtout que désormais les troupes américaines doivent se battre pied à pied et sur tous les fronts de la guerre pour maintenir leur contrôle sur le pays. Cette situation intenable est confirmée par l'évacuation, dans la nuit de jeudi à vendredi, des derniers soldats américains occupant les commissariats et les lieux stratégiques à Sadr City, la banlieue rebelle chiite de Bagdad. Par ailleurs, lors du prêche du vendredi, lu par cheikh Jaber Al-Khafagi, le jeune chiite, Moqtada Sadr, aujourd'hui recherché par l'armée américaine, a appelé «l'ennemi» Bush à retirer son armée d'Irak, indiquant : «Je m'adresse à mon ennemi Bush. Tu combats maintenant toute la nation, du Sud au Nord, d'Est en Ouest, et nous te conseillons de retirer (les troupes) d'Irak», soulignant : «J'appelle l'Amérique à ne pas faire face à la révolution irakienne.» En ouvrant deux fronts contre les deux principaux rites religieux d'Irak, l'Amérique donne l'impression de paniquer, créant même un malaise parmi ses soutiens irakiens les plus affirmés. Ainsi, une fissure est apparue au sein du Conseil transitoire irakien de gouvernement avec la démission jeudi du ministre de l'Intérieur, le chiite Nouri Badrane, immédiatement remplacé par le sunnite Samir Soumaydaï, nommé hier par l'administrateur en chef américain Paul Bremer. Un replâtrage qui cache mal le fait que les Irakiens comprennent de plus en plus mal la brutalité dont font montre les troupes de la coalition et singulièrement les soldats américains. Ainsi, beaucoup d'Irakiens se posent des questions comme cette femme médecin travaillant dans un hôpital de Nassiriyah, où des dizaines de blessés sont transférés quotidiennement et qui affirme : «Nous avons accueilli à bras ouverts les forces de la coalition qui nous ont débarrassés (...) de Saddam Hussein, et qui nous ont promis liberté et démocratie. Mais que sont devenus ces promesses et les droits des chiites ?» Un universitaire irakien indique pour sa part : «Sadr est un nationaliste. Il se bat contre les colonialistes qui sont arrivés avec de fausses promesses dans le but de prendre le contrôle de nos richesses et construire une base militaire afin de frapper l'islam en son coeur.» Ainsi, ces déclarations d'intellectuels irakiens expriment quelque peu le sentiment général en Irak où les atrocités des forces de la coalition sont en train de faire retourner l'opinion de la population irakienne contre ses nouveaux oppresseurs.