La bataille faisait rage hier dans la ville qui subissait les assauts continus des forces d'occupation. L'horreur et le chaos se sont installés dans la ville martyre de Falloujah où des combats acharnés se sont poursuivis hier encore, sixième jour des hostilités ouvertes entre des résistants irakiens et les forces d'occupation de la coalition. La parole est restée aux armes tout au long de cette semaine quand les marines américains ont tenté une expédition punitive, lundi, pour rechercher «les responsables» du meurtre de quatre américains commis quelques jours plus tôt dans cette ville à 50 Km à l'ouest de la capitale Bagdad. les bilans pour les Irakiens est très lourd, les morts se comptant par centaines, bilan qui, d'ailleurs, n'est plus communiqué depuis jeudi. De fait, beaucoup d'observateurs n'ont pas hésité à faire le parallèle entre les carnages qui se commettent actuellement à Falloujah et les massacres commis en avril 2002 à Jénine par l'armée d'occupation israélienne. Mêmes méthodes, même mépris pour la population quand les Américains en Irak occupé, comme les Israéliens en territoires palestiniens occupés, pratiquent l'assassinat de masse pour contraindre la population à l'abdication. Face justement à cette résistance, sans doute inattendue, qu'opposent les miliciens retranchés à Falloujah, les autorités de la coalition ont proposé hier une «trêve» pour, indique le général Mark Kimmitt «engager des pourparlers et établir une autorité irakienne légitime». Par ailleurs, pour obtenir un cessez-le-feu, une délégation du Conseil transitoire conduite par Ghazi Ajil Al-Yaouar et Mohsen Abdel Hamid, stationne depuis jeudi aux portes de Falloujah pour essayer d'intercéder avec les autorités de la ville et arriver à un arrêt des hostilités. En fait, outre la fermeté qu'opposent les sunnites de Falloujah aux marines américains, il y a également le fait que le Conseil transitoire de gouvernement est sérieusement ébranlé par ce qui se passe dans cette ville où les dépassements des soldats américains ont mis mal à l'aise certains de ses membres qui ont soit démissionné, soit suspendu leur participation, en signe de protestation et que d'autres menacent d'en faire autant. Ainsi, après le ministre de l'Intérieur, Nouri Badrane qui a démissionné jeudi, son collègue chargé des droits de l'Homme, Abdel Bassat Turki, en a fait de même car, selon le ministre de la Santé Khodayyir Abbas, il estimait qu'«il ne pourrait mener à bien sa mission vu l'escalade récente (de la violence) dans laquelle il voit une violation claire des droits de l'Homme en Irak». Toujours en signe de protestation contre les exactions américaines à Falloujah, Abdel Karim Al-Mohammadaoui, membre chiite du Conseil transitoire a annoncé hier qu'il a arrêté sa participation au Conseil, indiquant : «Je suspends ma participation au Conseil de gouvernement et je n'y retournerai pas parce que nous (le Conseil) avons failli envers le peuple irakien après ce qui s'est passé (à Falloujah)». Deux autres membres de ce Conseil, les sunnites Ghazi Ajil Al-Yaouar et Mohsen Abdel Hamid, menacent de démissionner à leur tour comme l'a déclaré M Ajil Al-Yaouar à la presse soulignant «Si le problème de Falloujah ne se règle pas d'une manière pacifique dans le respect de la dignité de la population et si les Etats-Unis n'honorent pas leurs promesses (...) et s'ils persis-tent à utiliser la force de manière excessive, alors je soumettrai ma démission». En fait, lors de ces derniers jours la fissure s'est élargie au sein du Conseil transitoire irakien partagé qu'il est entre sa fidélité à la coalition, qui l'a installé au pouvoir, et ses devoirs envers le peuple irakien. La bataille qui fait rage à Falloujah semble être celle de trop pour les Etats-Unis qui n'ont ni su, ni pu, tout au long de cette première année d'occupation justifier leur promesse de liberté et de démocratie pour l'Irak et les Irakiens alors même que la situation n'a cessé de se détériorer jusqu'aux affrontements meurtriers entre les forces d'occupation et les deux ethnies pivots irakiennes que sont les chiites et les sunnites engagés dans l'engrenage de la violence rappelant les pires moments de répression du régime baasiste irakien. Sur le front chiite, la situation demeure tout aussi précaire. Toutefois, Moqtada Sadr a décrété hier un arrêt des hostilités pour trois jours à Kerbala pour permettre aux milliers de pèlerins de participer aux cérémonies religieuses chiites célébrant le quarantième jour de la mort de l'imam Hussein. Le représentant du chef radical, Hamza Al-Tai a indiqué que cette trêve «tiendra tant que les forces d'occupation n'entreront pas dans le centre de Kerbala et ne s'approcheront pas des lieux saints ainsi que des postes de contrôle tenus par les miliciens à l'entrée de la ville». Mais ce n'est pas seulement à Falloujah et Karbala que l'on se bat, d'autres combats ont été signalés hier à Baaqouba, où neuf Irakiens ont été tués, de même qu'à Bagdad où la situation demeure confuse, notamment dans la banlieue rebelle de Sadr City, alors que de violentes explosions ont été entendues au centre de la capitale. Au moment où le chaos s'installe en Irak, les responsables américains temporisent et tentent de justifier les mesures répressives prises contre la population irakienne, notamment à Falloujah, mais reconnaissent que la semaine a été «rude» comme l'admet le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, selon lequel «la semaine a été rude, soyons clair là-dessus». Toutefois, le chef de la diplomatie américaine estime en revanche que les actuels affrontements n'auront pas d'impact sur le positionnement des Irakiens indiquant «(...) je continue de penser que la majorité des Irakiens sont avec nous». Cet optimisme n'est pas visible sur le terrain si l'on se réfère au malaise exprimé par des membres du Conseil transitoire accablés par la violence dont est victime leur peuple de la part des forces d'occupation. Pour sa part le président Bush affirmait hier que le transfert de souveraineté est toujours fixé au 30 juin indiquant «L'Irak sera souverain le 30 juin» affirmant «Certains ont suggéré que nous répondions aux récentes attaques en repoussant le transfert de la souveraineté aux Irakiens. C'est précisément ce que souhaitent nos ennemis. Ils veulent dicter le cours des évènements en Irak et empêcher les Irakiens d'avoir une voix dans le choix de leur avenir. Ils veulent que l'Amérique et notre coalition abandonnent leurs promesses sous les yeux du monde. Mais les ambitions des ennemis de le liberté vont échouer». Certes, d'autant plus que les Etats-Unis se sont trop engagés pour reculer, mais il n'en demeure pas moins que Falloujah restera une marque indélébile dans la mémoire collective irakienne et risque bien d'être le déclencheur de la guerre totale que Washington a pu éviter jusqu'ici.