L'accord entre les principaux partis tunisiens annoncé jeudi soir pour sortir le pays de la crise politique était très incertain vendredi, après le refus du candidat de compromis, nonagénaire, de diriger un gouvernement d'indépendants. Après des semaines de négociations sans issue, les islamistes d'Ennahda, leurs alliés et les principaux partis d'opposition s'étaient accordés sur le nom de Mustapha Filali, 92 ans, pour conduire un gouvernement apolitique. Mais après avoir hésité, l'intéressé a refusé le poste. Partis politiques et médiateurs tentaient néanmoins de convaincre cet ancien ministre du père de l'indépendance Habib Bourguiba de revenir sur sa décision, alors que le quartette de médiation a fixé à samedi midi (11H00 GMT) la date limite des pourparlers. "Si Filali refuse d'une manière définitive, on se dirigera vers d'autres noms", a néanmoins assuré l'un des médiateurs, le bâtonnier Mohamed Fadhel Mahfoudh. Fethi Ayadi, un dirigeant du parti islamiste Ennahda au pouvoir, a lui aussi indiqué que son parti ne considérait pas encore le refus de M. Filali comme définitif. "Il y a des communications avec M. Filali pour le convaincre d'assumer cette responsabilité", a-t-il dit à la radio Shems-FM. Même son de cloche dans les rangs de l'opposition. "J'espère que le refus de Filali n'est pas définitif car il est la personnalité la plus consensuelle", a jugé Mongi Rahoui, de la coalition de gauche, Front populaire. "S'il est définitif, et qu'il y a une vraie volonté politique, on peut se mettre d'accord sur une autre personne d'ici demain", a-t-il cependant assuré. M. Filali a pour sa part fermement refusé, après avoir laissé entendre qu'il pouvait accepter la mission. "Je ne me suis pas porté candidat, ce sont eux qui m'ont (contacté). Je n'accepte pas cette mission (...). Je la refuse en raison de mon âge et de l'ampleur des responsabilités et des problèmes", a-t-il dit à la radio Mosaïque FM. Le secrétaire général du puissant syndicat UGTT, principal médiateur de la crise, Houcine Abassi, avait annoncé jeudi soir qu'un compromis entre les partis tunisiens les plus importants avait été trouvé à l'issue de nouvelles négociations pour désigner un indépendant à même de former un cabinet apolitique. Cet accord entre Ennahda, son allié laïque Ettakatol et cinq partis de l'opposition devait être avalisé par une quinzaine d'autres petites formations, selon les règles du "dialogue national" destiné à sortir la Tunisie de l'impasse politique. Aucune réunion n'a finalement été annoncée. L'UGTT et les trois autres médiateurs -le patronat Utica, l'Ordre national des avocats et la Ligue tunisienne des droits de l'Homme- ont donné jusqu'à samedi à la classe politique pour s'accorder sur un nouveau Premier ministre, faute de quoi ils annonceront l'échec définitif des négociations, paralysées de facto depuis début novembre. La Tunisie est plongée dans une profonde crise politique depuis l'assassinat en juillet d'un député de l'opposition, Mohamed Brahmi. Les islamistes d'Ennahda ont accepté de quitter le pouvoir à condition qu'en parallèle soit adoptée la future Constitution du pays, en cours d'élaboration depuis deux ans, et que le calendrier des futures élections soit fixé. L'opposition veut en revanche désigner une personnalité indépendante pour former un cabinet apolitique avant de voter la future loi fondamentale. Cette impasse a aussi contribué à l'anémie de l'économie alors que le pays est déstabilisé par l'essor depuis la révolution de janvier 2011 d'une mouvance jihadiste armée.