La communauté de vues des deux chefs d'Etat, face à l'hégémonie américaine, confirme l'émergence de l'axe Paris-Alger. C'est face à un très large parterre de journalistes, algériens et français, que Jacques Chirac a animé, jeudi, une conférence de presse faisant immédiatement suite aux entretiens qu'il avait eus avec son homologue algérien, avant de rejoindre Paris le jour-même. L'homme, qui se sent très à l'aise en Algérie, qui dit garder un indélébile souvenir de l'accueil que lui avait réservé le peuple algérien lors de sa visite d'Etat d'il y a une année, ne va pas par quatre chemins pour expliquer les raisons de cette visite éclair, à savoir «saluer la brillante réélection du président algérien et féliciter M.Bouteflika en mon nom propre et en celui du peuple français». Le président français, qui rend au passage hommage au peuple algérien pour «son judicieux choix en faveur de la continuité et de la relance économique et de la justice sociale», ajoute que «l'Algérie trouvera à ses côtés un allié sûr en l'Etat français». En réponse au questionnement relatif aux accusations de fraude, poussées timidement par quelques ténors de l'opposition politique, Chirac se basera sur les rapports dressés par les experts pour dire que «des personnes qualifiées, spécialement formées, ont conclu que le scrutin s'est déroulé dans d'excellentes conditions, exception faite de quelques incidents. Je n'ai donc pas de raison de douter de cela, d'autant qu'avec plus de 80 % de suffrages exprimés en sa faveur, le débat n'est même pas possible». Une pareille caution politique, comportant un message très fort de la part de Paris, n'en consiste pas moins à engager un bras de fer avec Washington dont les ambitions pour l'Afrique du Nord, chasse gardée traditionnelle des Français, ne cessent de se préciser à travers le fameux projet relatif au GMO (Grand Moyen-Orient). Jacques Chirac rappelle au passage, sa première visite d'Etat effectuée en 2003, la déclaration d'Alger qui en avait résulté et la série de mesures prises afin d'élever le niveau à un niveau d'excellence les relations entre les deux pays. Il ajoute, en référence à l'Année de l'Algérie en France, que «sa très grande réussite a surpris tout le monde, mais prouvé dans le même temps à quel point les attentes des deux peuples étaient tournées vers une coopération plus étroite». Le président français, en ce sens, parle de «nouvel élan». Une expression qui ne laissera pas d'être soulevée dans notre question, puisqu'il avait été question de densifier les relations entre les deux pays, dans tous les domaines, dès le lendemain de la visite d'Etat de M.Chirac en Algérie. Le président français qui s'en explique, précise que la reconversion de la dette a déjà concerné 61 millions d'euros et devrait toucher une somme équivalente à la suite de la très prochaine visite à Alger du ministre des Finances français. Il ajoute à propos du risque Algérie tel que déterminé par la Coface, que «les autorités françaises n'ont aucune prise sur cet organisme», signifiant par-là que le Quai d'Orsay a nettement plus de confiance en notre pays que la Coface. La question relative au risque de recul des libertés publiques et individuelles sera éludée avec beaucoup d'adresse par un politique rompu aux dribbles verbaux : «La question n'a pas été soulevée lors des entretiens que j'ai eus avec mon homologue algérien. Cependant, à la lecture des nombreux journaux algériens, le moins que je puisse dire, c'est que le ton est loin d'être unique, ce qui sous-entend une grande liberté.» Il n'en réitère pas moins «l'attachement indéfectible de la France à la défense des libertés et de la démocratie». Chirac, dont la politique gaulliste consiste à dépassionner et à privilégier les intérêts sur les amitiés, ne cache pas les ambitions de Paris dans son bras de fer engagé avec Washington et dont la «bataille d'Alger» s'annonce ardue pour tous. La question sur le GMO, en effet, fera disserter Chirac pendant plusieurs minutes. «Il est tout à fait inacceptable que la démocratie et la liberté soient imposées à un peuple quelconque puisque les deux choses sont tout simplement antinomiques.» Mais, précise-t-il encore, «il est absolument impérieux que les Etats arabes se réunissent et dégagent une contre-proposition avant le Sommet du G8 devant se pencher sur la question, afin que Paris et ses alliés aient des arguments valables à faire valoir pour contrer le GMO». La dualité franco-américaine, dans laquelle l'Algérie pourrait jouer un rôle important, devant le fait que Chirac ne manque que rarement de souligner son unité de vue avec Bouteflika, est clairement affichée dans les différents sujets intéressant les régions en conflit de la planète. Qu'il s'agisse du conflit israélo-palestinien ou de l'aggravation «préoccupante» de la situation en Irak, Jacques Chirac a développé des points de vue très opposés à ceux des Etats-Unis. S'agissant de l'Irak, Jacques Chirac a proposé la tenue d'une conférence inter-irakienne destinée à préparer la transition politique. Pour lui, la solution ne peut être que «de nature politique». «Elle passe par un transfert rapide, complet, visible de la souveraineté aux Irakiens eux-mêmes et par la mise en place d'institutions irakiennes qui soient réellement représentatives, légitimes et pleinement responsables», a-t-il fait valoir. Autre sujet de désaccord avec les Etats-Unis, la question israélo-palestinienne, après le soutien sans précédent accordé mercredi par George W.Bush au Premier ministre israélien Ariel Sharon. Le président français a jugé que tout changement unilatéral de frontières entre Israéliens et Palestiniens serait «un précédent fâcheux» et «dan-gereux», en plaidant pour le respect du droit international. «Ce qui est à mes yeux fondamental pour aboutir à la paix, c'est la négociation. Je ne crois pas que la paix s'impose», a-t-il dit. «La paix se négocie». Le ton en est donné donc puisqu'il a beaucoup été question de paix dans la conférence de presse, il n'en demeure pas moins que c'est un message de guerre «diplomatique, s'entend» qu'est venu délivrer Chirac à partir d'Alger, prenant de vitesse les Américains dont la réaction au scrutin algérien avait été aussi rapide et positive que celle de Paris, au lendemain du 8 avril passé.