La Marjaiya la plus haute autorité chiite irakienne vient d'indiquer que Najaf constitue une ligne rouge au-delà de laquelle les choses pourraient basculer. La situation générale autour des villes assiégées de Falloujah et de Najaf demeure très précaire et l'embrasement peut survenir à tout moment. De fait, des tirs sporadiques continuent d'être entendus à Falloujah alors que des tirs au RPG contre le casernement du contingent espagnol à Najaf ont été signalés hier. Tant à Falloujah la sunnite qu'à Najaf la chiite, des médiateurs du Parti islamique irakien (PII, sunnite) et de la Daâwa (parti chiite) tentent de trouver une ouverture pour une désescalade de la tension. A Falloujah, les médiateurs qui ont réussi, vaille que vaille, à maintenir une trêve depuis six jours, tentent de consolider le cessez-le-feu, voire de le rendre irréversible. Ainsi, un représentant des Oulémas musulmans, cheikh Kobeissi a indiqué hier que «le but est de calmer la situation sur place et de tenter, en accord avec les Américains, de confier à nouveau le maintien de l'ordre aux policiers irakiens. C'est difficile en raison des violations permanentes de la trêve par les marines». En effet, les militaires américains mettent ces moments de répit à profit pour revenir à la charge, notamment par des bombardements de quartiers supposés abriter les «rebelles» irakiens. Ainsi, plusieurs quartiers de la ville ont été bombardés dans la nuit de jeudi par les forces américaines, un officier américain affirmant à ce propos «J'ai l'intention d'utiliser des avions de combat AC 130 toutes les nuits». Les militaires américains qui ne semblent pas réellement tenir compte de la trêve mettent en danger la fragile accalmie obtenue ces derniers jours. Toutefois, si la situation reste instable à Falloujah, il y aura un fort risque que la révolte gagne Bagdad où les habitants, majoritairement sunnites, commencent à montrer des signes de nervosité et d'impatience comme l'affirme cheikh Kobeissi selon lequel «la patience des habitants de Bagdad par rapport aux évènements de Falloujah n'est pas illimitée et il est possible qu'une campagne de désobéissance civile soit déclenchée». Soulignant : «Ce qui se passe à Falloujah est très grave». Aussi grave que la situation qui prévaut à Najaf où les plus hautes autorités religieuses chiites viennent de rompre le silence et de monter au créneau. Ainsi, le grand ayatollah Ali Sistani, l'une des figures emblématiques du chiisme irakien, vient de hausser le ton en traçant une ligne rouge lors de la réunion de la Marjaiya, la plus haute instance religieuse chiite. Cette dernière a mis a profit le prêche de vendredi pour faire connaître sa position sur les événements qui marquent les villes saintes de Najaf, Kerbala et Koufa. L'un des proches d'Ali Sistani, le cheikh Abdel Mehdi Karbalaï, a ainsi affirmé dans son prêche que Najaf et Kerbala «sont des lignes rouges que les forces de la coalition ne doivent pas dépasser», indiquant : «La Marjaiya qui a souligné la nécessité de régler les problèmes de manière pacifique, a pu empêcher jusqu'à présent les forces d'occupation de violer la sainteté de ces deux villes» avertissant : «Mais si une telle violation se produisait, elle aurait des conséquences incalculables». Se voulant plus clair, le cheikh Karbalaï affirme : «Si la Marjaiya estime qu'il n'y a plus d'autres voies que les armes et l'effusion de sang, et que toutes les voies pacifiques sont épuisées, elle n'hésitera pas à adopter des moyens plus efficaces pour réaliser ses objectifs» (protéger les lieux saints). Pour les chiites le problème risque de dépasser la seule personne de Moqtada Sadr, actuellement réfugié à Najaf, pour devenir une violation faite à l'ensemble des chiites d'Irak. Car, estime-t-on dans l'entourage de l'ayatollah Ali Sistani, même si ce dernier ne partage pas le radicalisme du jeune rebelle, Moqtada Sadr, il n'en reste pas moins que celui-ci est l'un des chefs religieux chiites et que la Marjaiya ne peut demeurer neutre. Ce qu'indique l'un des médiateurs chiites, Khodayer Jaafar Al-Khozaï, selon lequel «Si des combats éclatent, ils ne seront pas limités à une région et s'étendront partout en Irak» soulignant : «L'Irak est une société tribale et les partisans de Sadr appartiennent à des tribus. Si l'un est tué, ils le vengeront et cela peut ne peut conduire qu'à un conflit généralisé aux conséquences imprévisibles», mettant en garde : «Dans ces conditions, la Marjaiya ne peut rester neutre et se tiendra aux côtés du peuple même si elle ne partage pas les vues de Moqtada Sadr». En réalité, en voulant mettre au pas les sunnites et les chiites réfractaires les Etats-Unis risquent surtout de faire couler un bain de sang, d'autant plus que la situation n'est plus celle qui permit aux forces américaines de gagner la guerre contre Saddam Hussein, lâché par son peuple et par son armée. La situation aujourd'hui est autre et ne cesse de se détériorer au fil des jours. De fait, conscient de la chose, le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, vient de prolonger pour trois mois le déploiement de quelque 20.000 soldats américains qui avaient achevé leur période de présence en Irak. Contre toute logique et alors que la situation est considérée comme grave, sinon explosive, par tous les observateurs, le secrétaire américain à la Défense estime que la «situation est maîtrisée» à Falloujah et qu'elle est «largement stabilisée» dans le sud. Les Américains font-ils une fausse analyse de la situation en Irak alors même que les plus hautes autorités religieuses chiites mettent en garde contre toute violation des villes saintes de Najaf et Kerbala, au moment ou les généraux américains affirment pour leur part que «leur mission reste de tuer Moqtada Sadr»?. En fait les Américains montrent une sérénité trompeuse alors que l'Irak se trouve sur un volcan.