Ce livre inédit de plus de 600 pages consacré à un sujet inédit de l'histoire algérienne: La Tricontinentale, cette alliance de tous les révolutionnaires anti-impérialistes d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Grand spécialiste des services secrets, Roger Faligot vient d'ajouter à la quarantaine d'ouvrages qu'il a déjà publiée une impressionnante somme de plus de 600 pages sur la Tricontinentale, aux éditions de La Découverte. Le premier mérite de ce livre est d'être la première étude exhaustive en langue française d'un épisode de l'émergence du tiers-monde, après la conférence des non-alignés, à Bandung (Indonésie), en 1955. Dans la foulée des indépendances africaines et de la révolution cubaine, La Havane organisait en 1966 une conférence des trois continents, Asie, Afrique et Amérique latine, dans laquelle se mélangeaient, tant bien quel mal, délégations officielles et combattants révolutionnaires. Le deuxième mérite est de faire revivre un certain nombre de personnages qui ont grandement contribué à l'organisation ou au succès de la Tricontinentale, tels que l'homme politique marocain, Mehdi Ben Barka ou le dirigeant indépendantiste de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, Amilcar Cabral. Ou de sortir de l'oubli des personnalités attachantes, comme la Française Michèle Firk. L'Algérie de Ben Bella y occupe une grande place, Boumediene et Bouteflika ne sont jamais loin. C'est l'époque où l'Algérie pèse dans le camp socialiste et les relations internationales, l'époque où Alger et les collaborateurs de Bouteflika organisent des stages de formation à destination des révolutionnaires de tout poil, les militants des MLN, les Mouvements de Libération nationale. C'est l'époque où Alger accueille, le 14 avril 1964, le révolutionnaire Che Guevara quasiment en visite officielle. L'époque où des troupes cubaines sont envoyées en Algérie. C'est également le récit de la chute de Ben Bella racontée sur un long chapitre inédit et la succession de Boumediene: «Faute d'avoir en main les trois éléments du pouvoir (le parti, l'appareil d'Etat et l'armée), un dirigeant politique doit, au moins, en maîtriser un. Ben Bella, lui, ne tient rien.», résume un interlocuteur à l'auteur Roger Faligot dans son chapitre consacré au premier président algérien. Un autre mérite de cet ouvrage est de rappeler l'époque, «l'heure des brasiers», la guerre du Vietnam et les protestations qu'elle suscita à travers le monde, le schisme du monde communiste divisé entre les partisans de Moscou et ceux de Pékin, la volonté des Cubains de briser leur isolement en favorisant l'émergence de «deux, trois Vietnam», à commencer par l'Amérique latine et l'Afrique. Roger Faligot a rencontré et interviewé beaucoup de monde, sur les trois continents, mais aussi en Europe. Il a consulté de nombreuses archives et lu une bonne partie de la bibliographie se rapportant de près ou de loin aux événements évoqués. Pourtant, ces pages provoquent une certaine insatisfaction. Sans doute par déformation professionnelle, l'auteur a tendance à décrire la Tricontinentale comme une guerre de l'ombre, une dispute entre services de renseignement, à laquelle seraient venues se greffer des résolutions écrites dans la langue de bois des compromis plus ou moins bien ficelés. En outre, emporté par la passion du sujet, Roger Faligot a accumulé les détails et les digressions sans la moindre retenue, au point d'épuiser le lecteur qui ne partagerait pas le même intérêt pour la Tricontinentale. L'un dans l'autre, cela dépolitise paradoxalement cette vaste saga. Tout au long de son cheminement, presque jour par jour, d'avril 1964 aux lendemains de mai 1968, l'auteur prend pour argent comptant toutes les intentions avancées et les témoignages cités, sans la moindre distance.