La communauté des Organisations non gouvernementales (ONG) en charge des questions humanitaires, a tiré la sonnette d'alarme : l'on s'achemine tout droit vers une catastrophe humanitaire au Soudan, plus précisément dans la province du Darfour qu'une guerre civile a sortie de l'anonymat. Depuis, des mois ont passé et ces mêmes ONG se plaignaient des difficultés d'accès aux milliers de déplacés qui ont fui les zones de combats et les massacres attribués aux milices gouvernementales dont Khartoum n'a jamais reconnu officiellement l'existence. Mais cette fois, la communauté des Nations a décidé elle-même d'intervenir et de prendre les choses en main pour éviter ce qu'on considère, avec une certaine retenue, la pire crise humanitaire que le monde ait jamais connue. Toutes les données, si elles ne sont pas rapidement inversées, tendent à donner corps à cette hypothèse que le monde en tout état de cause a tardé à prendre en considération. Tout donc se fait dans l'urgence, et le premier à hausser le ton est le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell qui a demandé mardi soir au gouvernement soudanais d'agir maintenant pour faire cesser le drame du Darfour (ouest), sous peine de s'exposer à des sanctions internationales. M. Powell a présenté trois exigences au gouvernement de Khartoum : contrôler les milices pro-gouvernementales accusées de massacrer sans vergogne la population au Darfour, permettre aux organisations humanitaires d'y travailler et commencer des négociations avec les deux mouvements rebelles. « A moins que nous ne voyions bientôt des avancées dans ces trois domaines, la communauté internationale pourrait être amenée à considérer d'autres actions, parmi lesquelles celle du Conseil de sécurité », a déclaré le ministre des Affaires étrangères américain lors d'une conférence de presse commune avec son homologue soudanais Moustafa Osmane Ismaïl. M. Powell, qui est venu avec des photos satellite témoignant de villages désertés par leur population sous l'effet de l'action des milices pro-Khartoum, a indiqué que son entretien avec M. Ismaïl avait été « franc, direct et sans détour ». M. Ismaïl a reconnu qu'il y avait « un problème au Darfour », mais a répété la position des autorités de Khartoum selon lesquelles l'inquiétude de la communauté internationale est exagérée. « Il n'y a ni famine ni épidémie », a-t-il dit, promettant un train de mesures avant la fin de la visite de M. Powell, qui s'est rendu hier au Darfour, où il a visité des camps de déplacés en compagnie du secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan. A son arrivée à Khartoum, M. Powell avait déclaré un peu plus tôt : « Nous devons agir maintenant car le temps presse. Les gens sont en train de mourir et le taux de mortalité va augmenter fortement au cours des prochains mois. » Il a averti que l'amélioration des relations entre Washington et Khartoum, à la faveur de l'avancée du processus de paix entre le gouvernement soudanais et les rebelles sudistes, pourrait être remise en cause en raison de la crise dans le Darfour. Région désertique s'étendant sur trois Etats de la fédération soudanaise, le Darfour est en proie, selon l'Onu, à la pire crise humanitaire en cours dans le monde. Le conflit qui y a éclaté en 2003 entre les rebelles et les autorités de Khartoum a fait environ 10 000 morts, 1 million de déplacés et plus de 100 000 réfugiés au Tchad voisin. Quand on lui a demandé si les massacres attribués aux milices pro-gouvernementales Djandjawid relevaient d'un génocide, M. Powell a déclaré que des « indices et des éléments » pouvaient le laisser penser. « Nous assistons à un désastre, à une catastrophe. Il y aura tout le temps de trouver le mot exact plus tard. Pour l'instant, il faut que nous agissions », a-t-il ajouté. Au moment où le secrétaire d'Etat est arrivé à Khartoum, le président soudanais Omar Al Béchir s'engageait, dans un discours à l'occasion de l'anniversaire du coup d'Etat qui l'a porté au pouvoir en 1989, à lever tous les obstacles entravant l'arrivée de l'aide humanitaire au Darfour. « Je confirme l'engagement de l'Etat à fournir le maximum de facilités et d'assistance (...) en coopération avec les organisations internationales » et à « redoubler d'efforts sur les plans administratif, technique et de la sécurité, afin de permettre que l'aide arrive à ceux qui en ont besoin avant la saison des pluies », a-t-il dit. A Doha qu'il a quitté hier pour le Darfour, M. Annan a tenu mardi à l'égard du gouvernement de Khartoum des propos similaires à ceux de M. Powell : facilitez l'arrivée de l'aide humanitaire et empêchez les massacres, sinon « la communauté internationale (devra) agir ». Quelques sacs de farine ne suffiront pas à eux seuls pour soulager la détresse des centaines de milliers de réfugiés, ceux-ci aimeraient tant se passer de ce statut. Il y a lieu en effet, d'imposer le silence des armes, même si au Soudan, l'équation est devenue bien complexe depuis que le premier coup de feu a été tiré en 1983 par ce qui allait devenir le SPLA d'un ex-officier de l'armée soudanaise, un certain John Garang.