Le Pentagone savait depuis plusieurs mois ce qui se passait à Abou Ghraib. Un débat s'esquisse en Europe autour du maintien, ou non, des forces de la coalition en Irak, singulièrement dans les pays européens qui n'ont pas pris part à la guerre mais déploient des contingents militaires en Irak, telles l'Italie et la Pologne. Les opinions publiques de ces pays, notamment choquées par la brutalité dont ont fait montre les forces d'occupation à l'encontre des prisonniers irakiens, remettent en question la présence de leurs soldats en Irak, demandant leur rapide rapatriement. Toutefois, les dirigeants italiens et polonais réitèrent qu'un retrait (de leurs troupes), après le 30 juin, n'est pas à l'ordre du jour. Ce qu'avait notamment déclaré en début de semaine le président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, qui s'est engagé publiquement, en revanche, à maintenir les militaires italiens en Irak au-delà du 30 juin, alors même que l'opinion publique italienne, l'opposition et certains partis de la coalition exigent un retour immédiat des carabiniers. De fait, l'un de ses alliés politiques, la ligue du Nord, est nettement plus réservé, demandant à M.Berlusconi de s'expliquer comme l'indique le coordinateur de la ligue du Nord, et vice-président du Sénat, Roberto Calderoli, qui a déclaré hier à la presse, «J'attends une explication de Berlusconi sur ses affirmations à propos du maintien de notre contingent après le 30 juin, car je ne reconnais pas cette position». En effet, à l'approche de la date butoir du 30 juin, lors de laquelle, théoriquement, les puissances occupantes de la coalition américano-britannique procèderont au transfert de souveraineté à un gouvernement provisoire irakien. En fait, la détérioration de la situation sécuritaire, les combats, maintenant quasi quotidiens, entre les forces d'occupation et les résistants et guérilleros irakiens, se sont traduits ces dernières semaines par des pertes énormes en vies humaines. A propos du scandale des prisonniers irakiens, les langues (de militaires américains) commencent à se délier, nombre d'entre eux affirmant que le Pentagone savait ce qui se passait à Abou Ghraib depuis plusieurs mois, au moins, selon eux, depuis novembre 2003, et le rapport que le Cicr (Croix-Rouge internationale) avait fait parvenir aux autorités américaines. Un haut gradé américain avait même affirmé au Wall Street Journal que le rapport du Cicr «avait été accueilli par un éclat de rire et des plaisanteries de la part de ses collègues». Et à l'évidence, l'affaire continue à être considérée comme une plaisanterie eu égard à la peine symbolique (un an de prison) dont a écopé le soldat Jeremy Sivits, le premier des sept inculpés à être traduit (hier) en cour martiale américaine siégeant à Bagdad. Au plan sécuritaire, la situation n'a pas beaucoup évolué, mais si un calme relatif a été observé hier, il n'en reste pas moins que cinq Irakiens ont été tués à Kerbala, lors de manifestations à l'appel de Moqtada Sadr, manifestations désapprouvées par le grand ayatollah Ali Sistani, qui a invité la population à ne pas venir manifester à Najaf et Kerbala. De fait passant outre l'appel de l'ayatollah Ali Sistani, les mosquées chiites de Bagdad ont appelé les fidèles à se rendre en masse dans les deux villes saintes. Ce qui dénote un certain flottement dans la communauté chiite irakienne, partagée entre le respect qu'elle voue au grand ayatollah et l'admiration qu'elle a pour le chef radical, Moqtada Sadr, considéré comme un héros national, pour avoir osé défier l'occupant américain. Ce leadership avant l'heure pourrait toutefois avoir des retombées fâcheuses sur la cohésion de la communauté chiite irakienne.