les interrogations se posent à longueur de ligne et beaucoup de zones d'ombre s'épaississent avec le temps. La cassette de vingt minutes envoyée par la direction du GIA à l'ambassade de France constitue l'un des rares documents audio où l'on peut encore entendre la voix des sept moines français s'adresser aux autorités françaises. La cassette a été enregistrée le 20 avril 1996 à 22h 45 mn, c'est-à-dire près de vingt-cinq jours après leur enlèvement et à trente jours de leur assassinat. Après une introduction, où se côtoient versets coraniques et propos du prophète («Khotbât el-hâdjâ»), un des preneurs d'otages prend la parole pour dire : «Cette cassette est enregistrée sur ordre de l'émir du groupe islamique armé (GIA) Abou Abderahmane Amine, connu sous le nom de Djamel Zitouni. L'enregistrement est fait ce jour, le samedi, à 22 heures 45 mn, le soir du premier du mois de dhou el-hidja, correspondant au 20 avril 1996, dans le but de l'envoyer à l'ambassade de France comme preuve que les sept moines trappistes enlevés sont encore en vie et se portent bien.» Succède à cette introduction un temps passé à écouter les informations de 23h et qui dure quinze minutes. Puis par la suite, les sept religieux français sont l'un après l'autre, invités à parler. Le père Christian donne l'air d'être plus à l'aise que ses compagnons. En tout cas, c'est toujours lui qui est désigné par les preneurs d'otages pour s'exprimer le premier. Lorsqu'il prend la parole, il est 23h 15 : «Je suis le père Christian et nous vous informons que nous sommes retenus en otages par la djamaâ islamiya moussalaha de Djamel Zitouni.» Une voix : «Présente-toi !». Le deuxième moine : «Je suis Christophe le Breton, je suis en bonne santé». Le troisième : «Je suis le frère Luc, j'ai entendu les informations et je me trouve en otage.» Le quatrième : «Je suis le frère Bruno Lemarchand, âgé de 66 ans, du monastère de Fez, et je suis en bonne santé». Le cinquième à prendre la parole est Paul-Favre Miville : «Je suis un moine du monastère de Tibhirine et je suis en bonne santé.» Le sixième : «Je suis frère Michel, âgé de 52 ans, je suis en bonne santé.» Et enfin : «Je suis le frère Célestin, moine au monastère de Tibhirine, et je suis en bonne santé.» Après ces présentations, un des preneurs d'otages appelle : «Christian ! Tu as lu le communiqué du Groupe islamique armé? Parle, parle, dis ce que tu as lu !» (daté du 18 avril, et après avoir circulé en quelques exemplaires à Médéa, le communiqué du GIA, portant le n°43 n'arrive à Londres que le 26 avril. Il revendique l'enlèvement des moines et propose à la France un échange de prisonniers, entre autres Abdelhak Layada, premier émir du GIA constitué et en prison, à Alger, depuis 1994, Ndlr). Le père Christian : «Dans la nuit de jeudi à vendredi, les moudjahidine ont eu le ‘‘bayâne'' de la Djamaâ islamiya moussalaha dans lequel...» Le père Christian est interrompu : «Qui l'a signé ?» Le père Christian reprend : «Signé par Abou Abderahmane Amine... dans lequel, il est dit que nous sommes donc retenus en otages, et il est demandé au gouvernement français de libérer un certain nombre d'otages appartenant à ce groupe, en échange de notre libération. Cet échange semble être une condition absolue.» Un des preneurs d'otages interpelle un autre moine : «Tu entends bien, tu entends...» Les moines : «Oui, oui, oui...». Un autre membre du groupe islamique : «Vous avez entendu ? S'ils ne répondent pas à notre demande, vous serez...» Une autre voix : «S'ils n'acceptent pas, alors vous serez... vous avez compris?» (Il a dû faire un mouvement de va-et-vient du couteau sur la gorge. On entend quelques rires fuser). Un des preneurs d'otages : «S'ils ne font pas l'échange... s'ils ne relâchent pas nos frères... Père Christian, explique-leur...». Le père Christian : «S'ils ne relâchent pas nos frères, bon, nous ne serons pas relâchés.» Un des preneurs d'otages (au moins six parlent dans la cassette) : «Vous avez tous compris ?» L'enregistrement prend fin sur quelques voix inaudibles qui murmurent.