C'est sur fond de tirs de RPG que se poursuivaient hier les ultimes discussions pour la formation d'un gouvernement. Mises quelque peu en sourdine par les marchandages de ces derniers, autour de la formation du futur gouvernement intérimaire irakien, les confrontations entre miliciens chiites et marines américains ne s'en poursuivaient pas moins, hier encore, à Najaf et, sporadiquement, dans la ville voisine de Koufa, en dépit du cessez-le-feu censé être entré en vigueur jeudi dernier. Ainsi, loin des marchandages et autres compromis politiciens qui mobilisent les efforts des «politiques» irakiens autour d'un partage du gâteau que sera le nouveau gouvernement provisoire de Bagdad, les miliciens de Moqtada Sadr, gardent le doigt sur la gâchette et se font un «devoir» de répondre du tac au tac aux attaques des marines américains, qui selon les partisans du chef radical chiite «violaient» la trêve signée jeudi par les deux parties. Un responsable du bureau de Moqtada Sadr à Najaf justifie ces coups de canif donnés au cessez-le-feu par le fait que, selon lui, «Une patrouille américaine a violé la trêve en s'approchant de Najaf depuis la vallée de la Paix ce matin (hier)», indiquant «Des membres de l'Armée du Mahdi ont attaqué la patrouille avec des RPG, la forçant à se retirer». La trêve devait permettre de trouver un accord, entre les miliciens de Moqtada Sadr et les forces américaines, permettant la relève, par des policiers irakiens, des forces d'occupation à Najaf et à Koufa, comme cela avait déjà été le cas à Kerbala et à Falloujah. Il convient cependant de relever une certaine stabilisation de la situation sécuritaire en Irak ces derniers jours, quoique, ici et là, des actes, souvent isolés, continuent à semer la mort, comme celle, hier, d'une femme et de sa fille à Mossoul tuées par deux obus qui ont touché leur maison près d'un camp militaire installé à la périphérie de la ville. Au plan politique, et comme l'a voulu l'administrateur en chef américain, les choses se sont accélérées avec la désignation par le Conseil transitoire irakien de Iyad Allaoui au poste de Premier ministre, choix qui a eu l'aval de Paul Bremer, l'homme fort actuel de l'Irak. L'ONU n'a pas caché sa surprise face à cette tournure des évènements, mais ses porte-parole sont demeurés prudents, sans doute dans l'attente d'en savoir plus et aussi de connaître la position qui sera celle de M.Brahimi, émissaire spécial onusien chargé justement de trouver, en collaboration avec les forces politiques irakiennes, un gouvernement apte à recevoir le transfert de la souveraineté auquel procéderait la coalition le 30 juin. Mais maintenant la donne semble changée et même si le Conseil de sécurité donne son approbation au nouveau gouvernement intérimaire et à son Premier ministre pressenti, Iyad Allaoui, ce ne serait plus la même chose, les Etats-Unis ayant pris les devants en montrant qu'ils gardaient l'initiative en Irak et que tout au plus l'ONU n'etait nécessaire pour leur coalition que du fait de la couverture qu'elle lui procure en lui assurant la légitimité internationale qui lui a fait tant défaut depuis l'occupation de Bagdad le 9 avril 2003. Dans le profil du nouveau gouvernement irakien, c'est le Premier ministre qui aura la réalité du pouvoir, aussi, ce n'est pas, outre mesure, étonnant que ce soit au chiite Iyad Allaoui, réputé proche de Washington, qu'échoit la mission de mettre en branle la «reconstruction» institutionnelle, politique et économique de l'Irak. Aussi, pourquoi s'encombrer de postes symboliques de président, (qui reviendrait à un sunnite) et deux vice-présidents (l'un octroyé à un chiite, -ethnie majoritaire en Irak- et l'autre à un Kurde) qui ne font qu'officialiser la base confessionnelle du pouvoir politique dans le futur Irak. De fait, à quelques éléments près, c'est l'actuel Conseil transitoire, nommé en août dernier par la coalition, qui est reconduit sous le nouveau vocable de «gouvernement intérimaire». Un gouvernement intérimaire dont le maître d'oeuvre sera en réalité le nouvel ambassadeur des Etats-Unis en Irak, John Negroponte, qui occupe encore la même fonction à l'ONU. L'ambassade américaine à Bagdad, la plus grande du monde avec plus de 2000 fonctionnaires et employés, sera, en fait, le vrai centre du pouvoir en Irak et aura la haute main sur tout ce qui va se passer dans ce pays. En fait, nouveau proconsul américain, M.Negroponte, qui occupera ses fonctions à l'avènement du transfert de souveraineté aux Irakiens, prendra la relève du chef de l'administration américaine Paul Bremer, partant. Par ailleurs, le débat sur la résolution sur l'Irak, déposée le 24 mai par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, promet d'être très chaud, tant du fait que la communauté internationale estime que le texte a «besoin d'être retravaillé» que des ambiguïtés qui entourent la présence militaire américano-britannique. De fait, estimant que la résolution n'avait pas «besoin d'être réécrite» l'ambassadeur américain à l'ONU, John Negroponte affirme : «Nous pensons avoir présenté une résolution solide» ajoutant : «Il n'y a aucun doute que nous opérerons (...) avec le consentement et l'approbation des autorités de l'Irak». Autorités que Washington semble avoir pris grand soin à trier sur le volet, à voir la tournure qu'à prise la mise en place du gouvernement provisoire. En fait, les Etats-Unis, qui sans doute transféreront la «souveraineté» aux Irakiens le 30 juin, ont pris leur précaution pour, d'une part, placer aux postes de responsabilité des hommes qui leur sont acquis, d'autre part, en faisant avaliser par les Nations unies un tour de passe-passe qui leur laisse les mains libres en Irak, continuant ainsi à diriger ce pays par le biais d'un gouvernement fantoche.