Vladimir Poutine garde un oeil vigilant sur l'Ukraine Moscou a donné des signes d'apaisement à l'approche de la présidentielle du 25 mai en Ukraine, mais a émis suffisamment de réserves pour ne pas cautionner un vote qui renforcerait le pouvoir pro-occidental de Kiev. «La Russie ne va pas reconnaître ces élections», estime Nikolaï Petrov, professeur à la Haute école d'économie de Moscou. «La Russie ne sera satisfaite qu'avec une sorte de contrôle sur l'Ukraine toute entière, ou sur l'Est» du pays. Le Kremlin avait à l'origine rejeté l'élection présidentielle anticipée, organisée après la destitution du président Viktor Ianoukovitch, à l'issue de trois mois d'une contestation pro-occidentale qui s'étaient achevés dans un bain de sang à Kiev. Après le rattachement de la péninsule ukrainienne de Crimée à la Russie en mars, des séparatistes russophones ont pris le contrôle de certaines régions de l'est de l'Ukraine, suscitant une intervention des forces loyalistes ukrainiennes. Dans ces conditions, met en doute la légitimité d'une élection tenue «au son du canon». Tout en maintenant des réserves et en se gardant de dire s'il reconnaîtrait le résultat du scrutin, le président Moscou a adopté dernièrement un ton plus conciliant, admettant que le scrutin pouvait aller «dans le bon sens». Les experts l'ont interprété comme un changement de ton relevant d'une tactique visant notamment à éviter de nouvelles sanctions occidentales qui pourraient toucher non plus quelques hauts responsables mais certains secteurs de l'économie russe. La conjoncture économique est en effet mauvaise pour la Russie, entrée en récession selon le Fonds monétaire international (FMI), qui prévoit des fuites de capitaux de 100 milliards de dollars (73 milliards d'euros) sur l'année et la chute des investissements dans un climat d'incertitude. «Il y a le sentiment que l'Europe ne souhaite pas imposer de plus graves sanctions à la Russie, et Poutine voulait donner un argument à ceux qui s'opposent aux sanctions», remarque Maria Lipman, analyste au Centre Carnegie, à Moscou. «Cela ne veut pas dire que la Russie soutient l'élection en Ukraine... C'est une concession mais elle ne fait que peu de différence». Pour les analystes, la tactique de la Russie est aussi de permettre aux séparatistes de consolider leur contrôle des régions industrielles de l'Est de l'Ukraine. La Russie considère que les Occidentaux ont orchestré la destitution de Viktor Ianoukovitch, et observe le développement de la situation dans une région devenue instable et désormais ingouvernable pour le gouvernement pro-occidental. «L'objectif de la Russie est à long terme», indique Maria Lipman, il s'agit d' «installer un gouvernement qu'elle puisse contrôler». Son objectif à court terme, le rattachement de la Crimée à la Russie, ayant été achevé, Vladimir Poutine peut se permettre d'être patient avec le reste de l'Ukraine, soulignent les experts. La popularité du président russe a atteint des sommets vertigineux, stimulés par une vague de patriotisme. Selon un sondage en avril par le centre indépendant Levada, 82% des Russes soutiennent leur président. Le Kremlin souhaite par ailleurs que l'Ukraine soit un exemple pour les autres ex-républiques soviétiques qui pourraient chercher à se rapprocher de l'Occident - tout comme la guerre contre la Géorgie en 2008 était une réaction à ses efforts pour rejoindre l'Otan. Pour l'International Crisis Group, basé à Bruxelles, Vladimir Poutine, qui estime avoir la responsabilité de combattre ce qu'il considère être une domination occidentale et un déclin moral en Europe, est «fermement déterminé» à continuer sa stratégie en Ukraine. Même si cela signifie que «pour une génération au moins, les Ukrainiens vont considérer Moscou comme un puissant, dangereux voisin, et non pas un ami ou un allié».