Nuri Bilge Ceylan recevant la Palme d'or L'Afrique repart bredouille sans aucun prix pour Timbuktu de Abderahmne Sissako, si ce n'est avec les Prix parallèles Francois-Chalais et le Prix oecuménique, amplement mérités au demeurant. S'il est dit que la Palme d'or est de couleur politique d'abord, alors la Turquie qui sort vainqueur, doit sa Palme d'or à ses derniers conflits qui ont secoué son pays et à ce souffle de liberté de sa jeunesse. «Cette année, on célèbre le 100e anniversaire du cinéma turc, il était temps que cette Palme arrive» n'a rien mieux trouvé à dire l'un des membres du jury lors de la conférence de presse qui a suivi la cérémonie de clôture du 67e Festival de Cannes. Après Abdelatif Kechiche qui, en tout cas, a dédié sa Palme décernée, l'année dernière, pour le film La vie d'Adèle, à la jeunesse tunisienne, c'est au tour de Nuri Bilge Ceylan de la dédicacer à son tour à ceux qui ont sacrifié leur vie. «Ce prix est une façon aussi de se remémorer tous ceux qui sont décédés.» Après son dernier film Il était une fois en Anatolie, le cinéaste turc de 55 ans, qui compte de très nombreux prix à son actif dont trois déjà récompensés à Cannes, rafle ainsi la tête du podium avec ce film contemplatif qui raconte un drame social sur l'inaptitude de certains jeunes à accepter leur conditions de vie. Après le Printemps arabe, ne voilà-t-il pas que c'est au tour du Printemps turc à qui le Festival de Cannes a fait le choix de célébrer. Alors, politique ou pas? Le long métrage Timbuktu d'aucuns pensaient qu'il allait repartir avec un prix, au grand théâtre Lumière, restera dans le noir à l'instar de cette population qui résiste dans l'indifférence jusqu'à ce que des hommes armés, venus d'ailleurs, viennent libérer le pays...était-ce la phrase de trop, sous-entendue par Sissako lors du point de presse en faisant allusion au pays de Sarko, qui avait déplu? L'on ne saura jamais. La déception est en tout cas bien profonde parmi les comédiens de ce film. Reste la qualité artistique du film primé qui compte. «Ce qui me motive, au départ, dira le cinéaste turc, est l'aspect sombre de l'être humain et comprendre l'aspect sombre de mon âme, donc de la nature humaine..» Celle du Festival de Cannes, demeure encore obscure, faut-il l'avouer. Pour la présidente du jury, Jane Campion, Xavier Dolan, auteur du touchant film Mommy (Prix du jury ex-aequo avec Adieu au langage de Jean-Luc Godard) est «un génie dont le film très intéressant montre une sorte de révolution technologique» alors qu'elle s'est dite «bouleversée» par le film de Godar «qui n'en est presque pas un, car il n'y a pas de récit, mais plutôt un poème». Sofia Coppola a tenu à préciser, quant à elle, que le prix a été décerné en jugeant d'abord, le film en faisant ainsi abstraction du parcours du réalisateur. Un Prix du jury qualifié par la plupart de celui de «la liberté et de la passion» qui a étonné plus d'un, d'autant plus que Mommy du Canadien Xavier Dolan était pressenti pour la Palme d'or par certains critiques. Si Jane Campion a avoué avoir eu peur au départ du film turc en raison de sa durée (plus de 3h), elle reconnaîtra son plaisir à avoir vu le film «tellement merveilleux et maîtrisé que j'aurai pu le voir encore pendant deux heures supplémentaires». Elle rajoutera que les prix ont été décernés loin de toute considération politique. «Nous avons toujours tenté de déceler un aspect de liberté dans les films, plutôt que le politique.» Notons que le Prix de la caméra d'or décerné au trio français Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis est un prix amplement mérité, compte tenu de la délicatesse poétique qui se dégage de ce film à la fois drôle et sensible, party girl. Pour Alain Sard producteur de Adieu le langage, le Prix spécial du jury est un prix «de jeunesse». «Godard a 83 ans et Dolna, 25 ans. C'est magnifique. Voilà de l'encouragement, donc je vais continuer!». «Godard est-il au courant qu'il a reçu un prix?» l'a interrogé un journaliste et Alain Sard de répondre: «Je pense qu'il a dû l'apprendre, mais à mon avis, ce n'est pas cela qui va révolutionner sa vie.» Rires dans la salle. Celui qui aura le plus touché l'assistance est Timothy Spall, Prix d'interprétation masculine pour son rôle dans Mr.Turner. Cet homme qui a échappé il y a quelque années à la maladie du cancer, a avoué son bonheur naïf comme celui d'un adolescent de 16 ans de se voir obtenir un prix après avoir joué avec le réalisateur pour qu'il voue le plus grand respect dans la profession et après avoir été cantonné, surtout, souvent dans des seconds rôles. Le Prix de l'interprétation féminine, quant à lui, a été décerné à la délurée Julianne Moore dans l'étrange Maps to the stars de David Cronenberg. Le Grand Prix est revenu au film italien Le Meraviglie, tandis que le Prix du meilleur scénario a été attribué au truculent et bien intelligent film russe Leviathan de Andrey Zvyagintsev et Oleg Negin. Le Prix de la mise en scène est revenu à Bennett Miller qui a avoué avoir pensé son film Foxcather pendant huit ans. Mais celui qui saura bien parler pour défendre son film et surtout ses idéaux est bel et bien le jeune Québécois Xavier Dolan dont on a tenté de restituer fidèlement les propos tant ceux-ci sont pleins de maturité. «Je reconnais le geste délibéré du Festival de Cannes à se soucier du temps séparé entre Godard et moi et de nos recherches de liberté dans nos démarches et époques différentes. J'aime croire que le cinéma est à ce moment-là à un virage et que j'en fait partie. Le jury a perçu la sensibilité d'un doyen du cinéma et d'un jeune, de tous les âges. On me rappelle constamment que j'ai 25 ans, tout d'un coup, mes interrogations sont pulvérisées. Toute ma vie j'ai entendu: 'Redescend sur terre, remets-toi à ta place''. Quand j'étais petit, je réalisais que je venais d'un grand pays, mais qui rêvait petit. Et si ce prix peut inspirer les gens de chez moi à faire de grands rêves, eh bien, tant mieux! C'est ça Cannes, il faut rêver en grand. On ramène un prix, un cadeau avec nous avec une grande fierté.»