La poursuite du maintien de l'état d'urgence obéit en fait à plusieurs facteurs aussi complexes les uns que les autres. On dit que le ministre de l'Intérieur détient en ce moment le pouvoir de décider ou non de la levée de l'état d'urgence, et pour le contraindre de précipiter les choses, la commission «Défense nationale» de l'assemblée avait décidé de l'interpeller à ce sujet, faisant écho à la demande déjà formulée par le groupe parlementaire du MSP. En fait, le ministre de l'Intérieur ne détient pas seul, loin s'en faut, les leviers de cette prise de décision qui obéit à plusieurs facteurs plus complexes les uns que les autres, et il faut d'ores et déjà penser que le président de la République lui-même, décidera lorsqu'il se sera bien installé dans son second quinquennat, et après qu'il aura consulté ses rapporteurs politiques et sécuritaires. Cette mesure d'exception, instaurée le 9 février 1992, dure depuis douze ans déjà. Initialement instauré pour «éviter le chaos et l'anarchie», selon le prétexte officiel, «pour permettre à l'armée de travailler en toute liberté et limiter le mouvement des islamistes armés», selon le motif qui prévalait à l'époque, l'état d'urgence, annoncé à l'orée de chaque consultation électorale, est arrivé à ses propres limites. C'est-à-dire à ses propres contradictions et n'a plus de raison d'être que celle d'écorner les libertés. D'un côté, on continue d'invoquer le motif sécuritaire pour maintenir les choses en l'état et, d'un autre côté, on parle d'un retour à la stabilité politique et d'un effacement notable des actes de violence dans les grandes villes et les axes routiers. Mieux, l'accalmie, voire l'embellie sécuritaire est tellement évidente qu'on parle d'aller de la concorde civile vers une réconciliation nationale réelle afin d'amener les derniers réfractaires du GIA et du Gspc à déposer les armes et à (ré)intégrer la société. Or, maintenir l'état d'urgence équivaut à se constituer en «état de guerre» et sonne comme un signal très fort de la prépondérance de l'armée sur la vie politique algérienne, alors que le général de corps d'armée Mohamed Lamari n'a pas cessé de répéter depuis deux ans qu'il n'est «absolument pas contre la levée de l'état d'urgence». A toutes ces contradictions, s'ajoute une autre : alors que l'Algérie en appelle, de la manière la plus pathétique au retour des investisseurs et aux capitaux étrangers, le maintien de l'état d'urgence, qui classe déjà l'Algérie aux premières places des pays à risque, est de nature à effriter les dernières chances de ce retour salutaire pour l'économie nationale. «L'état d'urgence vise à sauvegarder l'ordre public, la sécurité des personnes et des biens, ainsi que le fonctionnement normal des services publics», précise l'article 2 du décret 92/44 portant instauration de l'état d'urgence. Le terrorisme a ciblé et tué moins de quarante citoyens depuis les six derniers mois, c'est-à-dire qu'il a tué cent fois moins que les accidents de la route, le tabagisme ou les homicides relevant du droit pénal non du sécuritaire et n'ayant pas trait aux groupes armés. Douze ans d'état d'urgence, c'est déjà un très mauvais point noir contre l'Algérie dans l'appréciation des grandes institutions politiques et monétaires internationales. Evidemment, le contexte sécuritaire d'entre 1992 et 1999 avait été exceptionnellement violent et, bien entendu, nous sommes loin des états d'urgence «à l'égyptienne» (une vingtaine d'années) ou «à la syrienne» (une quarantaine d'années), mais tout de même...