Après Benflis, le troisième homme de l'Etat a essayé de se conformer à une certaine éthique politique tellement rare sous nos cieux. Karim Younès, jeudi, a surpris son monde en entamant une séance parlementaire, somme toute banale, par l'annonce de sa démission du poste de président de l'APN. La décision, tranchante et venant confirmer des rumeurs déjà livrées dans notre page Confidential. «Tirant (...) tous les enseignements de la consultation électorale du 8 avril 2004, j'ai pris le samedi 10 avril la décision irrévocable de démissionner de la fonction de président de l'Assemblée populaire nationale». Sans doute fallait-il beaucoup de courage et de maturité politique pour en arriver à une telle décision, qui n'a pas manqué de surprendre, en un tel moment, à quelques jours à peine de la clôture de la session de printemps et alors que le plus gros de l'orage Flniste est passé et a même été réglé au sein de l'hémicycle. Le démissionnaire explique cette temporisation par sa volonté de ne pas vouloir «entraver le bon fonctionnement des institutions en permettant au gouvernement de présenter son programme à l'assemblée de l'adopter et au pays de s'engager dans le processus initié le 8 avril dernier». L'homme, qui a accompli un parcours remarquable à la tête de cette assemblée, comme le reconnaissent même ses «adversaires» politiques, a prouvé, une fois de plus, qu'il mettait les intérêts du pays et du FLN bien au-dessus de ses propres intérêts et considérations personnelles. Il s'en explique lui-même dans cette courte allocution, appelée à entrer dans l'histoire et à servir de référence, le «militant» Karim Younès a «tenu à apporter sa contribution aux efforts louables tendant à faire retrouver au groupe parlementaire de la formation dont il est issu l'unité et la cohésion». On se souvient en effet que Karim Younès, qui a accueilli en son bureau, Abdelaziz Belkhadem, était aux premiers rangs lors de la cérémonie qui avait scellé la «réconciliation» entre les députés FLN des deux camps et avait même prononcé une courte allocution qui en disait long sur le rôle qu'il a dû jouer en faveur de ce «happy end». Véritable leçon publique dans un pays où les échecs personnels ne sont que rarement assumés, le désormais ancien président de l'APN entend, par ce geste «rester fidèle à (sa) conception personnelle de ce qu'est l'éthique dans l'exercice de la profession politique». Il est vrai que cette démission semble avoir été rendue «indispensable» depuis que s'est confirmée la rumeur faisant état du refus de Bouteflika de se faire représenter à l'étranger par Karim Younès dans les rencontres parlementaires internationales. Cette information avait été donnée par nous en exclusivité dans notre édition de jeudi, c'est-à-dire le jour-même de l'annonce de cette démission. Karim Younès, qui a réussi à sortir par la grande porte, préservant ainsi cette institution d'une lutte qui n'aurait fait que déstabiliser un pays qui renoue à peine avec le fonctionnement normal, semble avoir forcé le respect de ses pairs. Même les députés et dirigeants du mouvement de redressement, dont l'un avait initié une pétition demandant la destitution de Karim Younès, se sont gardés de faire le moindre commentaire désobligeant, ni de crier victoire, comme il en était légitimement attendu. Mais ce départ ouvre grande la porte aux spéculations concernant le devenir des postes qu'occupe le FLN à quelques jours de leur renouvellement, alors que désormais, le mouvement de redressement tient la dragée haute aux anciens pro-Benflis. Pas moins de 22 postes de responsabilité, dont cinq de vice-présidents de l'APN sont ainsi en jeu. Les tractations ont commencé dès ce week-end, lors même que les députés n'avaient même pas fini de commenter la démission de Karim Younès et les leçons importantes devant en être tirées. La première d'entre elle, sans aucun doute, a trait à la «reddition» de la direction provisoire du FLN, conduite par Abdelkrim Abada. Elle semble s'être pliée aux principales exigences du camp des redresseurs. Nous apprenons, en effet, que la cérémonie de mise en place de la commission nationale de préparation du 8e congrès, dit rassembleur, aura lieu ce matin au siège du FLN. La présence de Belkhadem et de toute son équipe confirme bien que ces derniers ont réussi à imposer leur vision, comme nous l'ont confirmé hier des sources, refusant toutefois de commenter ce qui est devenu un fait inédit dans les annales politiques algériennes, à savoir, la démission du président de l'APN.