Karim Younès a rendu publique, d'entrée de jeu, sa démission du poste de troisième personnage de la République. Karim Younès, président de l'APN, a rendu son tablier, non pas sans provoquer au sein de cette institution législative l'effet d'un «véritable séisme parlementaire», à se fier aux premières réactions manifestées à chaud. Jeudi dernier, à 10h précises, au moment de l'ouverture de la session plénière consacrée aux questions orales, M.Karim Younès a rendu publique, d'entrée de jeu, sa démission du poste de troisième personnage de la République. Dans son allocution d'ouverture, le désormais ex-président de l'APN a fait part à une assistance éparse, composée des membres de l'Exécutif et de députés de partis politiques siégeant à l'hémicycle, de sa «décision irrévocable» de démissionner. Celle-ci est inspirée, selon lui, «par le sens des responsabilités et par la haute conception du service de l'Etat et du peuple», a-t-il déclaré d'emblée. Une telle déclaration a surpris, à juste titre, certains membres de l'Exécutif. La même déclaration, force est de constater, a suscité une grande joie du côté des redresseurs du FLN. En revanche, le retrait de Karim Younès a durement été ressenti dans le camp des anciens pro-Benflis. La décision de Karim Younès de démissionner de son poste de président de l'APN, qu'il occupe depuis juin 2002, a été prise au lendemain de l'annonce des résultats de la récente présidentielle, à laquelle était scellé - inévitablement - le sort du parti politique dont il est issu, le FLN en l'occurrence. Cette formation, faut-il le rappeler, était sujet à un conflit à cause de la consultation électorale du 8 avril dernier. La victoire écrasante de Bouteflika sur ses concurrents (85% des suffrages exprimés) a transfiguré, aux yeux de Karim Younès, la carte politique interne du pays. «Tirant pour ma part tous les enseignements de cette consultation électorale, j'ai pris, le 10 avril, la décision de démissionner», a-t-il affirmé. Des enseignements qui convergent avec le «souci d'éthique» et qui, dans l'esprit de Karim Younès, se rapportent à sa «conception personnelle de ce qu'est la conviction dans l'exercice de la profession politique», renchérit l'ex-président de l'APN. Il appuie ses dires en ajoutant que sa décision de démissionner émane de sa «voix intérieure», celle de la conscience, en étant persuadé qu'il est possible de militer pour ses idées, comme citoyen ou comme député, loin des perchoirs de responsabilité. Le deuxième homme de la République qu'il était, Karim Younès a dû attendre, en outre, le moment opportun pour rendre publique sa décision. Cela «pour ne pas entraver le bon fonctionnement des institutions en permettant au gouvernement de présenter son programme, à l'Assemblée de l'adopter», explique-t-il. Karim Younès fait-il l'objet de pression? Et dans ce cas précis, d'où provient-elle? La réponse à ces questions est recueillie dans les coulisses de l'APN qui, pendant toute la matinée de jeudi dernier, bruissaient de la démission de son président. Le retrait de Karim Younès a donné lieu à un véritable coup de théâtre à l'intérieur de l'hémicycle Zighoud-Youcef. A l'exception de M.Belkhadem qui dit avoir été informé la veille du désistement du président de l'APN, la majorité des députés ayant pris part à la session plénière de ce jeudi sont restés ahuris suite à ce qu'ils venaient d'entendre. Ils se sont précipités de regagner les couloirs de l'APN, qui pour donner un coup de téléphone, qui pour commenter la décision de Karim Younès. Un brouhaha généralisé a prévalu dans les couloirs de l'Assemblée. Un député pro-Benflis ou bien du FLN légaliste (ou ce qu'il en reste) ira dire à la presse, sous le couvert de l'anonymat, que des mesures coercitives de la part de Bouteflika sont exercées sur la personne de Karim Younès. «Bouteflika a refusé de signer l'ordre de mission de Karim Younès, pour que celui-ci ne soit pas parmi la délégation officielle qui se déplacera le 7 juin au Vietnam (...). C'est la troisième fois que cela arrive», a-t-il déclaré d'un air courroucé. Effectivement, Karim Younès n'était pas parmi les officiels qui ont accompagné le président de la République dans ses déplacements récents dans deux pays africains. Sous le sceau de l'anonymat, un autre député de la tendance des redresseurs du FLN a indiqué que «M. Abdelaziz Bouteflika a adressé un ultimatum à Karim Younès exigeant de lui de déposer sa démission avant son départ au Vietnam, faute de quoi, il usera de ses prérogatives pour dissoudre l'APN». Le Pr Guernik, un dirigeant du FLN version Belkhadem, a expliqué que «la seule pression pouvant peser sur Karim Younès est de nature morale et politique à la fois». Selon lui, une tendance du FLN (la sienne, Ndlr) «a réussi et Karim Younès n'a plus sa place (...). Le désormais ex-président de l'APN n'irait tout de même pas tenir un discours contre-nature. Il y va de sa crédibilité personnelle et de celle des institutions de la République». Le coordinateur du mouvement des redresseurs du FLN, M.Belkhadem, insiste quant à lui sur le fait que la démission de Karim Younès ne fait l'objet d'aucune pression. La même démission conforte à ses yeux la tenue du congrès réunificateur des deux tendances du FLN, dont la mise en place d'une commission de préparation est annoncée pour aujourd'hui.