La bibliothèque universitraire de la Faculté centrale d'Alger Le livre bien écrit laisse entendre plus qu'on ne lit... Il parle de l'ami et il le désigne; il n'a aucune pensée sauvage, même pas pour l'auteur d'un autodafé auquel il promet plutôt de lui proposer encore un bon livre!... Il me vient alors à l'esprit cette magnifique boutade de Amar Belkhodja qu'il a glissée dans sa contribution à l'ouvrage collectif «À quoi sert le livre?», éditions ENAG, Alger, 2013: «Quel dommage de ne pas avoir trois têtes. L'une pour lire. Lire tous les ouvrages du monde pour assouvir notre curiosité intellectuelle. La deuxième pour écrire. Consigner tout ce que nous ambitionnons de léguer à la postérité. Enfin une troisième pour prier... prier avec force pour le salut du livre. Amen.» Livres du Temps de lire (Saison 2013-2014) DOCTEUR AHMED AROUA, MON AMI du Dr Messaoud Djennas, Casbah Editions, Alger, 2013, 206 pages: «Le docteur Messaoud Djennas nous confie une émouvante et authentique «affirmation d'une fidèle amitié». C'est chose extrêmement rare dans notre littérature, tous genres confondus. Et, ici, il ne s'agit évidemment pas seulement d'un bel élan de sentiment d'un confrère envers un confrère, - Messaoud Djennas, professeur agrégé en ophtalmologie en 1967, éminent chef du service d'ophtalmologie du CHU Issad Hassani de Beni Messous, à la retraite depuis 1991 et Ahmed Aroua, docteur en médecine, décédé «d'une longue et cruelle maladie, le 27 février 1992 à Alger». Ils ont été - l'un, né à El Aouana, commune côtière à 20 km de Jijel, le 15 octobre 1925; l'autre, né à M'doukal, près de Barika, le 11 mai 1926 - tous les deux militants nationalistes en des temps durs de la lutte de Libération nationale et, à l'indépendance, de grands praticiens de santé publique et de grands amis. [...] Une grande vérité émerge de toutes les réflexions du docteur Aroua et se confirme dans l'actualité, elle est dans ces quelques lignes extraites de l'introduction à son livre L'Islam à la croisée des chemins»: «Mais l'Islam se trouve en face d'une situation mondiale qui exige de lui un remaniement colossal dans son contenu et dans son expression. Il ne s'agit pas d'une mise en question, mais d'une remise en ordre, qui est le point de départ d'une nouvelle étape évolutive, d'une nouvelle affirmation de son existence et de sa mission.» [...] Le professeur Messaoud Djennas s'est livré, en tout état de cause, en «homme fin instruit et intelligent» (plus puissant que ce dicton atinî fâham ou Allah lâ aqrâ') à un genre de littérature inédit chez nous. Son ouvrage Docteur Ahmed Aroua, mon ami est, plus qu'un éloge, plus qu'un hommage, une admirable reconnaissance des bienfaits d'une amitié tout en la maintenant encore en vie, et il l'enseigne comme un repère à la jeunesse algérienne avide d'une instruction et d'une formation, de progrès et de justice, de bonheur et de fraternité pour tous. J'ai en tête, mais hélas, sans références sûres, ces paroles d'un poète arabe dont le nom m'échappe maintenant: «Salâmoun alâ d-douniâ idhâ lam yakoun bihâ çadîqoun çâdiqou louadi mounfiâ, Que je dise salut (adieu) au monde où point ne se trouve un ami qui tienne ferme sa bien utile promesse!» QU'ATTENDENT LES SINGES de Yasmina Khadra, Casbah-Editions, Alger, 2014, 355 pages: «Savoir retrouver l'intelligence du singe... [...] les singes sont bien trop bons pour que l'homme puisse descendre d'eux», pensait Nietzsche dans OEuvres posthumes. [...] Quelle leçon de sciences humaines et de conscience morale, Yasmina Khadra se propose-t-il de tirer, pour ses lecteurs, de son expérience personnelle d'Algérien et de l'histoire de son peuple qu'il dit, ailleurs, «magnifique de patience et de longanimité»? Ici donc, seul l'auteur nous intéresse et nous sert de pierre de touche pour aborder son oeuvre où rien n'amuse. Toutefois, auparavant, et parce qu'il est insolite, que donne-t-il à comprendre ce titre «Qu'attendent les singes»? Pour le comprendre, il ne faut pas avoir l'esprit noué, car ce romancier n'est surtout pas un amuseur... C'est de nous qu'il parle, de nos bourbiers et même de nos rêves. Son livre contient autant sa responsabilité d'écrivain que notre espérance de lecteurs. [...] Au ixe siècle, Al Djâhidh (776-868, Bassora-Irak), fabuliste perspicace, zoologiste célèbre et philosophe à l'esprit scientifique ouvert, n'avait-il pas présenté «la théorie de l'évolution biologique»? Dans son Kitâb el hayawâne, Le Livre des Animaux (éd. Dar al-Gil/Dar al-Fikr, Beyrouth, 1988, Vol. IV, pp. 68-70), il notait en toute conviction que «Sur le maskh [c'est l'acte de la métamorphose dégradante] ont été émis des avis différents: il y a parmi eux ceux qui affirment que le maskh ne se transmet pas à la descendance, qu'il ne se perpétue pas, sauf pour servir de leçon et d'exhortation. C'est la position tranchée. Et puis, il y a ceux qui soutiennent que le maskh dure et se perpétue et a donné naissance à des espèces telles l'uromastix, l'anguille [djurriya], les lapins, les chiens et d'autres, des descendants de ces «peuples» qui se sont transformés en ces êtres et ont en acquis la (les) forme(s).» Poursuivant l'explication de ses hypothèses scientifiques, Al Djâhidh développait une thèse différente dans le même livre (Vol. IV, pp. 70-74), à propos de l'influence de l'environnement (la nature, le sol, l'eau, le soleil, la société, la culture, la politique, etc.): «... Peut-être, a-t-on trouvé que le marin nabatéen, dans beaucoup, ressemble aux singes. Et peut-être même qu'entre l'Homme du Maghreb et l'individu transformé [miskh, c'est le résultat de la métamorphose], il n'y a que peu de différences.» Al Djâhidh terminait son argumentaire par cette «Preuve de philosophie islamique»: «Et Abu Bakr al-Açam et Hishâm Ibn Ahkam disaient au sujet de la transformation: si Dieu veut transformer une graine de moutarde sans y ajouter de volume en longueur ou en largeur, il peut en faire autant d'un fils d'Adam, en le transformant en singe, sans en diminuer la taille.» Mais alors, se demande-t-on, «pourquoi l'homme ne pourrait-il pas compter que par ce qu'il obtient de lui-même selon la méthode sévère?» Ceci expliquant cela, l'intitulé «Qu'attendent les singes» est, dans ce cas, bel et bien une sorte de litote, laissant entendre plus qu'on ne dit.» PLEURE, Ô PAYS BIEN-AIME (Cry, The Beloved Country) d'Alan Paton, 1948. (Trad. par Denise Van Poppès), éditions Albin Michel, Paris, 1950, Livre de Poche, 430 pages: «La liberté d'être libres» était le mot d'ordre de conviction de Nelson Mandela pour engager ses compatriotes à lutter contre la politique de ségrégation raciale conduite en Afrique du Sud par la minorité blanche du Parti national à l'encontre de la majorité noire. La réalité de l'apartheid a jailli en 1948, dès sa claire application officielle au quotidien. Elle a été inspirée par «les institutions d'une politique de ségrégation raciale empirique existant en Afrique du Sud depuis la création de la colonie du Cap en 1652. Cette politique est la conséquence de l'angoisse historique des Afrikaners, blancs d'origine non anglophones, essentiellement néerlandais, d'être submergés par la multitude de la population noire environnante. La ségrégation portait sur les aspects économiques, géographiques (création des bantoustans) et sur le statut social en fonction des origines ethniques et raciales» et visant essentiellement la population ainsi répartie en quatre groupes raciaux distincts: «1- Les Blancs, environ 20% dont 3/5 d'Afrikaners et 2/5 d'anglophones. 2- Les Indiens (environ 3%), descendants des coolies recrutés à partir de 1860 pour les plantations de canne à sucre. 3- Les Coloured (ou métis), environ 9% de la population. 4- Les Noirs ou Bantous, près de 70% de la population, se répartissant entre différentes ethnies, les plus importantes étant les Xhosas et les Zoulous (Diverses sources).» [...] L'auteur raconte les débuts de l'apartheid en Afrique du Sud, dénonçant la ségrégation raciale dont sont alors victimes les Noirs. En voici un rapide résumé: «Le Révérend Stephen Koumalo, pasteur noir d'un petit village d'Afrique du Sud, a plusieurs parents à Johannesburg: son frère John, le menuisier, sa soeur cadette, Gertrude, partie avec son petit garçon à la recherche de son mari, et son fils unique, Absalon. Sur la foi d'une lettre qui l'appelle auprès de Gertrude, Koumalo se rend à Johannesburg et découvre la réalité brutale de l'apartheid, de la misère et de la déchéance qui règnent parmi les Noirs transplantés dans la grande ville, notamment dans le bidonville appelé «Soweto». Son frère John est devenu un homme politique en vue, luttant pour la libération de ses compagnons de race. Gertrude mène une vie dissolue, à la limite de la prostitution. De longues et pénibles recherches conduisent enfin Koumalo jusqu'à son fils Absalon. Pour avoir tué, lors d'un cambriolage, celui-ci attend son jugement dans un pénitencier. Au terme d'un pèlerinage aux sources de la détresse et de l'injustice, le pasteur rentrera au village, n'emmenant ni John, ni Gertrude mais seulement la femme de son fils, dont l'exécution est imminente.» On peut penser que le sujet de ce roman «la ségrégation raciale» est, hélas, toujours d'actualité, car des «Soweto» dispersés existent encore dans de nombreux pays...» (À suivre: La Petite bibliothèque de l'été 2014 dans Le Temps de lire du mercredi 1er octobre prochain.)