Créer un personnage de femme forte auxquel les jeunes filles peuvent s'identifier. Invoquer l'esprit critique des spectateurs qui auront à déterminer la ligne de partage entre fiction et réalité mais aussi la notion de célébrité et l'aspect du réchauffement climatique dans l'univers sont les quelques raisons qui ont poussé ce génie de femme à élaborer un projet artistique des plus extravagant, magnifique et audacieux. Le vernissage (installation d'objets, photos et création sonore) aura lieu aujourd'hui à l'IFA, précédé d'un documentaire, à partir de 17h et c'est à ne pas manquer sous aucun prétexte. De quoi s'agit-il? Lisez sans plus tarder! L'Expression: Vous êtes l'invitée de l'IFA dans le cadre du temps fort scientifique où vous allez présenter aujourd'hui une installation en hommage à l'exploratrice et romancière Gabriela Canti.. Pouvez-vous nous en parler? Aghate Simon: Cette expo est un rêve de très longue date. J'ai toujours souhaité aller en Antarctique et j'ai toujours eu en tête un projet en ce sens. Aller en Antarctique, c'est assez compliqué. Pour y aller, il faut se faire inviter par un des gouvernements qui a une base là-bas. J'ai donc cherché par différentes manières à y aller. Je me suis retrouvée en résidence de création à Saint Pétersbourg, complètement par hasard et de fil en aiguille, j'ai appris l'existence de cette résidence de création en Antarctique, organisée par le gouvernement argentin. J'ai posé ma candidature et j'ai eu l'immense plaisir de savoir que j'ai été retenue. Je suis partie donc en Antarctique après l'avoir rêvée pendant dix ans, en mars dernier. Vous êtes à la base artiste plasticienne mais pas que... Oui, je suis artiste mais avec deux doctorats, un en littérature et un autre en musicologie... Ma formation est en deux volets, académique avec ces deux thèses et puis j'ai eu la chance de beaucoup voyager. C'est aussi une formation très importante en tant que personne et en tant qu'artiste. J'ai développé des projets visuels pendant mes études. Cette expo fait partie d'un cycle et j'utilise des médias différents. C'est-à-dire, une installation dans le sens le plus simple des arts plastiques, mais aussi la vidéo dans un sens particulier ou bien le son et la photographie. Ce que j'aime réside autour d'un projet extrêmement cohérent d'avoir recours à des médias assez différents. C'est pour ça que le terme le plus approprié ici est celui d'artiste. Comment vous est venue à l'esprit l'idée de ce travail sur Gabriela Canti et en quoi vous a-t-elle inspiré? Je peux vous dire quelques petites choses sur Gabriela Canti. c'est un écrivain franco -argentin, née en 1974 et morte en 2010. C'est une femme qui a eu un destin exceptionnel. Elle est morte très jeune, à 35 ans. Elle est entrée dans la littérature relativement jeune, vers 21 ans. Sa famille a été marquée par l'exil. Elle est de mère française. Elle a fui le régime nazi dans les années 1940 pour émigrer en Argentine. Et la tragédie de l'histoire, les mêmes personnes qui ont fui le nazisme se sont retrouvées confrontées avec la dictature des années 1970 en Argentine et à ce moment-là. La mère de Gabriela a été enlevée et le père de Gabriela l'a envoyé, en France, de père argentin et de mère française, elle a vécu une partie de sa vie, son enfance en fait en France, et ce pour échapper à la dictature argentine et ensuite elle est revenue adolescente en Argentine. Elle avait vraiment une double culture. En tant qu'écrivaine sa carrière a démarré très vite et très fort. Son roman ayant eu du succès a été réécrit par la suite en français où elle a eu successivement les prix buenzerios et le prix de littérature contemporaine. Elle a écrit des romans assez régulièrement mais elle est aussi connue en tant qu'exploratrice. Elle a pu se rendre au Pérou, au fin fond de la forêt équatorial, en Afrique etc. Toutes ces aventures sont couronnées par le fait qu'elle soit invitée grâce à son mari, astrophysicien, à faire une expédition internationale en Antarctique, dont le nom de l'expédition 2048 qui a eu lieu l'été astral 2009/2010. Il y avait six personnes dans cette expédition. Le paradoxe est que cette expédition s'est très bien passée mais, manque de vigilance et de baisse de garde, vers la fin, arrivée au Pôle Sud après trois mois de voyage, elle est partie de la base sans radio. Or, en Antarctique le climat change très abruptement et elle est décédée, suite à une grande tempête de neige. C'était très douloureux pour l'équipe qu'on verra dans un documentaire qui sera projeté aussi lors de cette expo. Donc, j'ai décidé d'en faire une installation, j'ai regroupé ses objets et ceux de sa famille qui vont de la fin du XIXe siècle jusqu'à 2014. Sachant que ces objets sont des rescapés de la dictature. Car quand on cherchait à attraper les «dissidents», généralement on enlevait les personnes et détruisait tous les documents familiaux. Donc ces objets ont un côté extrêmement émouvant puisqu'ils sont les seuls objets restant de cette famille. Comment avez-vous récupéré ces objets? Je vais vous donner une info assez fondamentale, c'est que Gabriela Canti n'existe pas. C'est un personnage que j'ai entièrement imaginé. C'est donc une expo qui est dédiée à quelqu'un qui n'existe pas. Pour monter cette expo, j'ai travaillé avec beaucoup de gens. des scientifiques notamment, M.Djamel Mekarnia physicien (Il animera une conférence à l'IFA le 18 octobre à 18h30). L'expédition en elle-même est imaginaire, mais j'ai travaillé en collaboration avec énormément de gens pour que tout ce qui est le fruit de mon imagination soit totalement crédible et réaliste. Il était très intéressant pour moi de laisser libre cours à mon imaginaire mais en même temps d'être réaliste. Donc très généreusement beaucoup de spécialistes que ce soit l'astrophysicien ou des glaciologues, des sismologues etc, m'ont aidé. En revanche, moi j'ai bel et bien été en Antarctique. Toutes les images qui sont montrées sont les miennes. J'ai travaillé aussi avec des architectes, des journalistes, des écrivains, des antiquaires, pour que cette fiction soit entièrement documentée. Mon processus artistique c'était de mener l'enquête sur mon propre imaginaire. J'ai notamment été à Buenos Aires, visité un tas de quartiers pour choisir lequel serait celui de sa famille, j'ai discuté avec beaucoup de journalistes sur place, des écrivains, des artistes, ensuite je suis parti en Antarctique, j'ai discuté avec énormément de gens pour rendre réaliste le fruit de mon imaginaire. Donc tous ces objets d'origines diverses, je les ai trouvés dans des antiquités à Buenos Aires. Tous les objets sont réels. Je citerai notamment une combinaison polaire, une carte d'identité qui date de 1932 que j'ai intégrée dans ma fiction. Il y a plus de 110 objets qui sont cohérents. J'ai travaillé vraiment avec plusieurs personnes pour que toute sa généalogie soit respectée et en accord avec ces objets. J'ai remonté jusqu'à la troisième génération de Gabriela. Il fallait qu'il y ait aussi une cohérence avec le contexte historique et sociale. L'installation se décline en deux parties. La première a trait à cette expo. Mais je ne précise pas aux spectateurs que c'est une fiction. Je leur laisse le libre choix de déterminer si elle est réelle ou pas. Il y a aussi un documentaire qui est supposé être réalisé par la soeur de Gabriela qui s'appelle Cécilia, qui est une ancien enfant volée de la dictature. C'est l'histoire de deux soeurs qui ne se sont jamais rencontrées. Au moment où Cécilia découvre sa véritable identité, Gabriela est déjà morte. En hommage à sa soeur, elle est censée partir en Antarctique pour lui rendre hommage. En réalité, c'est moi qui ait réalisé le film. C'est un documentaire et tous les personnages du film sont des acteurs et ça, le spectateur n'est pas censé le savoir. Ce documentaire retrace les trois mois de la vie de Gabriela, autrement cette exploration de l'Antarctique qui n'a jamais existé et cette soeur est en réalité une actrice. Mais les images de l'Antarctique sont les miennes. La seconde partie de l'expo outre l'installation et les photos, c'est une création sonore et des voiles sur lesquelles j'ai imprimé des sons. Par exemple, le son de la glace qui flotte, la faune, les éléphants de mer, aussi les sons de l'hélicoptère qu'on a emprunté pour se rendre là-bas... J'ai fait une création sonore où j'ai demandé à des gens de tous les continents d'enregistrer dans leurs langues maternelles des extraits du journal de Gabriela que j'ai moi-même écrit, évidemment. L'idée est de rappeler que l'Antarctique n'appartient à aucun pays mais à l'humanité entière. Comme le stipule le traité de 1948, il doit rester une terre de science et de paix. Donc vous pouvez entendre de l'arabe, du sri-lankais, du chinois, de l'espagnol d'argentine, de l'anglais d'Australie, du suédois etc. Dans son journal de bord, Gabriela dit avoir vu dans son rêve des couleurs de l'Antarctique puisque là-bas, elle ne voyait que le blanc de la neige et l'orange des combinaisons. En hommage à ce rêve, j'ai imprimé sur des voiles verticales des sons enregistrés en Antarctique que j'ai pu visualiser grâce à un logiciel et qui présentent des couleurs, tout à fait surprenantes. C'est ainsi un hommage à ces derniers mots de son journal de bord...