«Au-dessus du réel...» Plage. Enfants. Guerre. Militaire. Masque. Rencontre. Un appelé. Et puis ce désir: la paix? Pas de chance, c'est le temps du pet. La cause? La Loubia hamra, titre à la fois sanglant et naïf donné par la réalisatrice algérienne Narimane Mari Benamer à son intrigant long métrage, signé d'une façon incroyable et décalée. Une fiction poétique, puissamment tendre et bouleversante, drôle et sensible. Un hymne à la liberté, à la joie et à la vie vu par le regard d'un enfant. Non, nous ne raconterons pas le film. Trois fois primé au Festival international du cinéma de Marseille, Loubia hamra est à voir absolument... L'Expression: Votre film est une fiction assez déroutante puisqu'elle fait appel à un travail sur le langage cinématographique qui est proche de la métaphore et à l'intelligence du spectateur. Un film qui ne se regarde pas juste avec les oreilles...cela parle de la Guerre d'Algérie mais avec une trame assez particulière, le prisme des enfants. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ce choix? Narimane Mari Benamer: Mais aussi, il se regarde beaucoup avec les oreilles.La bande son est très importante pour atteindre le but que je me suis fixé, celui de faire ressentir le film pour le comprendre physiquement, sans raisonnement intellectuel. Et faire jouer des enfants était la meilleure manière de transcender mon sujet brutal. Je serai incapable de montrer les marques physiques de la guerre ou même, d'utiliser des engins de guerre. Il fallait un imaginaire fort et les seuls qui soient capables de porter cette puissance imaginative, ce sont eux, les enfants. Dans ce film, pour faire leur coup, ils passent au-dessus du réel, ils ont donc cette force d'ignorer le contexte pour atteindre leur but. Malgré cela, et c'est très important, on est dans la véracité. Le film ne trompe pas, j'ai pu le vérifier avec le public du FID à Marseille, algérien et français. Et, comme vous le dites, mon sujet c'est la liberté, celle de ce pays mais aussi la nôtre, individuelle, j'ai donc pris des libertés sur la forme en ignorant les lois narratives. Nous entendons effectivement dans votre long métrage un poème d'Antonin Artaud qui exhorte justement à être... A être plutôt que d'obéir oui. C'est la conclusion du film. J'ai découvert ce poème tout à la fin de la réalisation. Je ne pouvais pas finir ce film sur la mort, surtout s'agissant de l'enfance. Ce poème associé à l'image de ces enfants, petits poissons flottants dans la mer, nous dit que la vie est là, toujours, qu'elle continue, même si c'est sous certaines conditions. Comment dans ce cas signifier le colonialisme sans tomber dans la caricature? Je ne sais pas, mais, encore une fois, j'ai fait le choix d'une narration sensorielle, et ça évite les pièges. Quelqu'un m'a dit que la présence des colons était très forte, même s'ils sont au bord du cadre, hors cadre. On les ressent alors qu'on ne les voit presque pas. Décrire la réalité colonialiste reviendrait aussi à montrer l'horreur. Même si à un moment du film, j'ai symboliquement parlé de l'histoire de ma mère, française, rejetée par sa famille à cause de l'amour qu'elle a porté à l'Algérie et à un homme algérien avec lequel elle eu des enfants. Il y a aussi la relation d'un militaire gradé à un appelé, qui est innocent, à mes yeux. Ce gradé est un personnage ravagé qui porte, en quelques mots, la brutalité du pouvoir, mais ce n'est pas lié au colonialisme, c'est lié au pouvoir, qui en plus est perdu. Narimane Mari Benamer, est issue d'une relation mixte. L'on ressent bien dans votre film cet appel à la fraternité et à l'entente puisqu'il y a une scène où on voit justement cet appelé se lier d'amitié avec les enfants «arabes». Etait-ce voulu ce message de conciliation ou réconciliation pour la nouvelle génération d'aujourd'hui? J'ai pensé à la paix en faisant ce film, sans vouloir apporter ce message en particulier, j'y ai pensé au fond de moi, dans la trame de mon écriture, et ça se ressent sûrement. Comme je vous l'ai dit ce film fête l'indépendance, il ne veut surtout par relancer une guerre. A Marseille, un homme dans le public a rappelé combien, dans cette ville, le conflit sur les origines était fort. Il a aussi dit quelque chose qui m'a beaucoup touchée, combien la poésie et l'humanité du film pouvaient apaiser ces tensions. J'ai d'ailleurs reçu une mention spéciale de Marseille Espérance, une association oecuménique qui reconnaissait à mon film sa dimension humaine. Il faut donc tourner la page ou pardonner? Dire l'un ou l'autre est impossible, surtout dans un film qui ne dure que 77 minutes. Aucune durée ne permettra de répondre. J'ai plutôt voulu libérer la guerre de son poids historique, parce qu'elle appartient à tout le monde, dans les mémoires, dans les souvenirs de nos parents, de nos voisins, mais aussi dans notre imaginaire. Me concernant, je ne pardonnerai jamais à quiconque est responsable d'horreurs de guerre, qu'il s'agisse de la nôtre ou de n'importe quelle guerre. Libérer l'Histoire c'est aussi se permettre de vivre de nouvelles aventures, de se remplir d'autres récits, c'est ça que j'ai envie de faire. C'est d'ailleurs ça que mes parents ont fait, se libérer de leur histoire pour s'aimer, c'était un bon début, je continue. Narimane Mari Benamer, vous êtes réalisatrice de Loubia hamra certes, mais vous revêtez aussi la casquette de productrice. Pourriez-vous vous présenter à nous brièvement et nous dire aussi quels sont les autres films que vous avez réalisés? Je suis productrice, particulièrement de documentaires engagés et j'ai créé ma structure à Alger Allers retours films parce que j'avais envie que les Algériens, qu'on entend si peu, prennent la parole. En ce moment je produis une jeune réalisatrice, Bahïa Bencheikh-El-Fegoune qui a des sujets formidables. Elle finalise son premier long métrage documentaire H'na barra, qu'elle a co-réalisé avec Meriem Achour Bouakkaz. C'est un film qui parle du corps des femmes dans l'espace public masculin, un film aidé, lui aussi, par le ministère de la Culture. Elle réalise également son second film en ce moment. Pour ma part, avant Loubia Hamra qui est ma première fiction, j'ai fait un film sur l'artiste-peintre Michel Haas et des clips aussi. C'est toujours amusant de mettre en images la musique. Il y en a un que j'ai pris beaucoup de plaisir à faire dans les rues d'Alger, très spontanément, avec Badji Bahri qui nous chante Mama Mya. J'ai également réalisé Les savants en terre d'Islam pour la télévision algérienne avec Ahmed Djebbar. Un rappel de notre riche histoire. Votre prochain sujet se passera donc dans le Sud? Je continue mon sujet, l'occupation, la folie de la guerre et des conquêtes. Je m'intéresse à celle du Sahara entre 1850 jusqu'en 1900. Il y a eu des expéditions qui portaient le nom de «tournée d'apprivoisement», on ne peut pas ne pas le dire. Il s'agissait de soumettre les indigènes. Mais surtout je vais utiliser tout le potentiel cinématographique du désert, il est très riche autant dans le réel que dans sa dimension mystique. Je vais aller assez loin dans cette recherche et je vais utiliser différentes formes visuelles et sonores, sans que cela ne devienne un objet expérimental. Mais avec Nasser Medjkane toujours, qui a fait cette image fragile et pleine de grâce de Loubia hamra, et le compositeur Neman et l'ingénieur du son, nous allons y travailler en décembre, pendant les repérages. Là, je suis en train de finir de l'écrire. Quel est maintenant l'avenir de Loubia hamra? Le montrer très vite en Algérie et aux enfants qui ont magnifiquement joué. Mais je dois hélas me plier aux différentes exclusivités exigées par les festivals dans le monde. C'est très dommage, mais comme je suis encore en dettes de postes de post-production, je dois y faire attention. En dehors de cet aspect financier qui nous empêche souvent, les trois prix du FID Marseille ont fait un accueil magnifique à ce film. Et partout je vais garder le titre Loubia hamra, quel que soit le pays et la langue. J'aime beaucoup que ce mot algérien soit prononcé avec des tas d'accents différents. Pour l'instant, alors que je ne l'ai pas soumis à sélection, il a été invité en compétition officielle à Montréal, en Italie, en Argentine, à Dubaï, à Cordoba, Copenhague, et j'attends encore des réponses et je devrais faire des choix sûrement. La sortie est envisagée en Février, avec une première à Alger fin décembre, ce serait pas mal. Votre film a t-il bénéficié du soutien financier de l'Algérie? Oui, il a été soutenu par le ministère de la Culture, le FDATIC. C'est d'ailleurs les seuls à m'avoir aidée, alors que j'avais déjà commencé un tournage coûte que coûte, donc difficile. Et j'en ai été très touchée parce que je ne m'y attendais pas. Je n'attendais plus grand chose, j'étais lancée et je devais faire avec ce que j'avais. J'ai pu croire que mon approche non historique, en ce cinquantenaire, pouvait être mal perçue, mais il a été soutenu par la commission à l'unanimité, c'est le cinéma qui l'a emporté et très sincèrement, je les remercie. Le CNAP, Centre national des arts plastiques à Paris m'a aidée en postproduction également. Je voulais aussi remercier tous les parents des enfants qui ont eu confiance en moi mais surtout en leurs enfants qui sont devenus de très bons comédiens. Tous, sans exception se sont engagés dans leur rôle tels des professionnels, avec courage et endurance. La véracité du film, dont on a parlé, repose beaucoup sur leur jeu extraordinaire.