Il a fait jouer à l'armée un rôle politique de premier plan. «Si Abassi Madani et Ali Benhadj étaient libérés, je serais le premier à tirer sur eux.» Cette déclaration rapportée par la presse a été attribuée au général Lamari au tout début des années 90. Le même officier supérieur avait demandé au président Chadli Bendjedid, lors d'un conclave réunissant près de 200 officiers, en janvier 1992, de présenter sa démission. Ainsi, au bout de dix ans à la tête de l'état-major de l'armée, une longévité que lui envieraient ses pairs en Méditerranée, le général Lamari s'est taillé une réputation d'un dur à cuire, et ses petites phrases, qui montrent dans quel sens souffle le vent des décideurs, sont commentées par tout le microcosme algérois, ainsi que par les chancelleries occidentales et arabes. C'est dire le pouvoir énorme détenu par cet homme cassant au franc-parler légendaire. Dans sa biographie, on peut lire que l'homme, qui est d'une famille originaire de Biskra, est né à Alger le 7 juin 1939, et qu'il a été formé dans la cavalerie à l'école de guerre de Saumur en France. Ayant rejoint l'Armée de libération nationale (ALN) en 1961, il sera envoyé en formation à l'académie militaire de Frounze en ex-Urss, avant de rejoindre l'école de guerre de Paris. Après avoir piloté la création d'une force antiterroriste de 15.000 hommes du temps du président Boudiaf, il gravit les échelons pour prendre la tête de l'état-major de l'ANP, poste qui fait de lui le véritable chef de l'institution militaire depuis 1993, grâce à une promotion accordée par le président Zeroual qui détenait, à l'époque, le portefeuille de la Défense nationale. Il a également été promu au grade de général de corps d'armée, un grade taillé sur mesure et qu'il est seul à détenir. Résolument engagé dans la lutte antiterroriste, le général Lamari a fait jouer à l'armée un rôle politique de premier plan, à une période où le rôle des partis était réduit à sa plus simple expression. Mais en même temps, on peut dire qu'il a préparé la transition vers la passation du pouvoir au pouvoir civil et vers le retour progressif de l'ANP dans les casernes. Plusieurs élections pluralistes à tous les niveaux (local, législatif et présidentiel) ont eu lieu depuis 1995 et ont permis, malgré des fraudes considérables, d'asseoir des traditions démocratiques dans le pays, jusqu'à cette fameuse élection présidentielle de 1999 qui a porté au pouvoir un président civil, en l'occurrence Abdelaziz Bouteflika. C'est justement à partir de cette période que les problèmes ont commencé à se faire jour entre le président élu et le chef d'état-major. Le premier se plaint de se voir tracer des lignes rouges à ne pas dépasser, malgré les prérogatives constitutionnelles qui font de lui le chef suprême des armées. Il a eu cette petite phrase qui fera date : «Je ne suis pas un trois-quarts de président.» Durant tout le premier mandat de M. Bouteflika, les deux hommes se livreront à un duel à fleurets mouchetés, s'envoyant des phrases assassines et des fléchettes bien acérées. Par des fuites organisées, un officier des Tagarins, siège du ministère de la Défense, fera écrire dans les colonnes d'un journal que Bouteflika n' a été choisi que parce qu'il était le moins mauvais des candidats. Le général Lamari lui-même multipliera les sorties et les déclarations, aussi bien à l'étranger qu'en Algérie même. C'est ainsi qu'il donnera une conférence de presse en juillet 2002, entouré des principaux officiers de l'ANP, pour conférer plus de poids à ses déclarations. On remarquera la présence de Gaïd Salah, patron des forces terrestres, de Brahim Fodil Cherif, commandant de la 1re Région militaire, d'Ahmed Boustila, chef de la Gendarmerie, d'Abdelmalek Sassi, responsable de la coopération, de Saïd Aït Mesbah, numéro 2 de la 6e Région. Bien qu'il ait déclaré : «Nous avons ouvert une brèche en 1992, nous l'avons refermée en 1999», pour signifier le retrait de l'armée de la scène politique, le fait même de tenir cette conférence de presse est une démonstration de force, puisque la loi n'autorise pas le chef d'état-major à s'exprimer au nom de l'armée, rôle qui est dévolu au ministre de la Défense, poste occupé par le président de la République lui-même. Cette entorse amènera un groupe de généraux loyalistes à publier un écrit dans un journal dans lequel ils désavouent cette liberté que s'est offerte le général Lamari, n'hésitant pas à laisser comprendre qu'il était entré en dissidence. Dans ses différentes interviews, que ce soit à un journal égyptien, à l'hebdomadaire français Le Point ou dans les colonnes de la revue de l'ANP, El Djeïch, il affirme et réaffirme la neutralité de l'armée, déclarant que ce n'est pas à l'institution militaire de faire les présidents, «l'année prochaine, l'armée reconnaîtra le président élu, même s'il est issu du courant islamiste.» Mais ses déclarations sur la neutralité sont diversement appréciées, certains allant jusqu'à affirmer que l'armée a déjà choisi Ali Benflis. Cependant, il faut reconnaître que sous sa direction, l'armée a mené une lutte implacable contre les terroristes, dont l'effectif a été ramené de 27.000 hommes au début des années 90 à seulement environ 700 en 2002. Il a également veillé à mener à terme la professionnalisation de l'armée et au rapprochement avec l'Otan. Certes, le moment de faire un bilan de l'action du général Lamari n'est peut-être pas arrivé, mais il faudra bien le faire un jour.