La commission ad hoc reçoit des centaines de familles quotidiennement pour leur proposer des formules de dédommagement. Dans un communiqué commun, SOS Disparus et le collectif des familles de disparus en Algérie a critiqué la démarche pour laquelle semble avoir opté la commission ad hoc relative au traitement de ce dossier. Nous apprenons ainsi, à la lecture de ce document, que depuis le 26 juillet passé, «une centaine de parents et de conjoints de personnes disparues sont convoqués chaque jour (...) afin d'y remplir un questionnaire». Il est précisé, à ce propos, que «les questions posées aux familles concernent essentiellement le choix d'un mécanisme financier : il leur est ainsi proposé d'opter soit pour le versement d'une indemnité financière ayant pour effet de clore le dossier de leur proche disparu, soit pour l'allocation d'une aide sociale versée sans que les recherches sur la personne disparue ne soient interrompues». Ces révélations, qui revêtent une grande valeur, concernant les choix définitifs qu'a fini par prendre la petite équipe de Farouk Ksentini, mise en place par le chef de l'Etat lui-même, renseigne suffisamment sur les «deux grandes écoles» qui se disputent le règlement de cet épineux dossier. Ainsi, au rythme où vont les choses, la structure que préside Ksentini aura fini de recevoir l'ensemble des familles concernées en l'espace d'environ deux mois. Il faut donc s'attendre à ce que la synthèse de leurs «desiderata» soit faite et incluse en bonne place dans le rapport destiné à Bouteflika, d'ici à la fin du mois de septembre prochain. Difficile de dire, en attendant, si les familles vont opter dans la majorité pour le classement définitif des dossiers contre de coquettes sommes d'argent, ou bien la poursuite des enquêtes tout en percevant une pension qui leur permettrait de vivre plus ou moins correctement. La position des deux associations, en tout cas, ne s'est guère fait attendre. Les pensions sont acceptées, alors que le classement des dossiers répondrait à une «démarche contraire à la législation internationale et aux multiples conventions ratifiées par l'Algérie». A leurs yeux, «la proposition d'une indemnité financière en contrepartie de l'abandon des recherches est contraire au droit international». Il est ajouté que «la commission ad hoc viole les articles 17 et 18 de la déclaration sur la protection des personnes contre les disparitions forcées adoptée par l'ONU le 18 décembre 1992, et selon lesquels chaque cas doit continuer d'être considéré comme un crime aussi longtemps que les faits ne sont pas élucidés alors que les auteurs de tels actes ne peuvent bénéficier d'une loi d'amnistie ou autre mesure analogue qui aurait pour effet de les exonérer de toute poursuite ou sanction pénale». L'inquiétude des auteurs de ce communiqué se devine du fait que les fameux questionnaires ne seraient pas si «innocents» que cela, et pourraient même faire office de preuves ou de moyens de pression dans le cas où quelqu'un venait à changer d'avis. La communiqué relève, en effet, que «les questionnaires ne sont pas remplis de façon anonyme (et) doivent être signés par les familles». Il est à rappeler que l'Association nationale des familles des disparus avait initialement réagi pour rejeter tout traitement qualifié de «technique» à une question éminemment «politique». Ksentini, pour sa part, a jeté un grand pavé dans la mare ce mercredi en admettant publiquement la responsabilité de l'Etat, à travers certaines de ses structures, dans certains cas de disparitions. L'homme de loi, qui a pris le temps de consulter l'ensemble des acteurs en vue dans ce dossier, situés de part et d'autre de la ligne de front, semble s'être fait une idée assez précise. Car il n'oublie pas de relever des failles dans les chaînes de commandement, ce qui «dilue» les responsabilités des uns et des autres, et rend presque impossible de situer le degré de culpabilité des uns et des autres dans chacun des cas signalés. Plus de dix ans après les premiers cas de disparitions dites forcées, le débat, qui n'est plus tabou, ne fait que commencer. La découverte, ce week-end, d'un énième charnier dans un ancien maquis bien connu de l'AIS est un élément supplémentaire à apporter à la réflexion. Car, dans tous les cas de figures, une fois les ossements identifiés, cela fera quinze cas de moins à traiter pour la commission que préside Ksentini.