Me Ali Yahia a dénoncé l'exclusion des disparus du traitement ADN. Longtemps soumise à l'étouffoir public, la question des disparus serait l'objet, selon la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (Laddh), d'une vaste entreprise politique menée par les hautes autorités du pays visant à clore, si ce n'est à liquider, définitivement ce dossier. L'homme lige, auquel le président de la République a confié cette tâche, n'est autre que Farouk Ksentini, président du Cncppdh, l'organisme public traitant des droits de l'Homme, lequel patronne également la commission Ad hoc sur les disparus. Expliquant les tenants et les aboutissants de cette «mission», Ali Yahia Abdenour, président de la Laddh, dans une conférence de presse tenue, hier à Alger, a taillé en pièces les «graves» révélations faites par le premier responsable du Cncppdh, mercredi dernier, au centre de presse du quotidien El Moudjahid, qui en seraient, d'après lui, les signes avant-coureurs. Il y a d'abord cette «frasque» que le représentant personnel de Bouteflika, selon le qualificatif d'Ali Yahia, avait publiquement assenée la semaine précédente: «L'Etat est responsable mais non coupable.» «Grave!», a-t-il considéré. Une «sentence» qui a pour visée de «disculper les violations et autres dépassements» que le pouvoir a commis depuis 1988. De fil en aiguille, c'est tout le problème de l'impunité qui est remis au goût du jour et contre lequel, justement, ce défenseur des droits de l'Homme met en garde. Et de marteler: «Les auteurs doivent payer (...) On ne peut pas tourner la page de cette manière!» Autre grief, plus révélateur celui-ci: le pouvoir, après avoir dénaturé les revendications des familles de disparus et jeté ces derniers à la vindicte, s'apprête à «acheter» à coups de millions la renonciation. Hocine Zahouane, vice-président de la Ligue, en sait quelque chose, puisque c'est lui qui s'occupe de l'«épineux» dossier. A l'en croire, depuis quelque temps, la commission Ad hoc, en les convoquant à titre individuel, propose aux proches des victimes des indemnités allant jusqu'à 1 million de dinars, avec pour contrepartie de renoncer à la poursuite des recherches par les services concernés. «Ksentini, dans une démarche d'une rare perfidie, tente d'acheter le silence des familles», a-t-il accusé, pour sa part, prenant à témoin l'opinion publique quant aux velléités du pouvoir sur cette question précise. De cette «perfidie», le numéro 2 de la Laddh dénonce donc les pressions matérielles avec lesquelles la commission, «toute honte bue», marchande les familles. Car, il est vrai, poursuit-il, que ces mêmes familles vivent, en majeure partie, dans des conditions sociales des plus lamentables. D'où le besoin d'une prise en charge par les pouvoirs publics, mais nuance! Que cette assistance sociale se fasse en dehors de tout calcul ou autres visées politiques, «comme c'est actuellement le cas», a-t-il déploré. Sur la question des charniers et de la mise en place d'une commission d'enquête, deux événements qui font actuellement l'actualité, Me Ali Yahia a jeté un autre pavé dans la mare. «Les analyses de l'ADN concernent uniquement les victimes du terrorisme... Les disparus en ont été exclus», a-t-il déclaré, alors qu'une semaine auparavant, Farouk Ksentini, au même titre que le directeur général de la Dgsn, affirmaient tout à fait le contraire. Si, en fait, l'information d'Ali Yahia venait, cependant, à se confirmer, les familles des disparus resteront sur leur faim et perdront probablement tout espoir de pouvoir faire «dignement» leur deuil, surtout que la création d'un laboratoire fut l'une de leurs principales revendications. Se révoltant, de ce fait, contre cette volonté publique de faire dans le deux poids, deux mesures pour le traitement des victimes, dont serait coupable en premier lieu M.Ksentini, le vieux «pépé» des droits de l'Homme appelle, au contraire, à les traiter sur un pied d'égalité. Alors qu'en outre, les différents services de l'Etat s'échinent depuis une semaine dans l'affaire du charnier de Toulmout dans lequel gisaient quinze cadavres, le président de la Laddh appelle à la mise en place d'une commission d'enquête indépendante composée de personnalités de haute valeur morale, reconnues pour leur impartialité, leur intégrité... pour faire toute la lumière sur cette question de charniers, a fortiori, sur tout le problème des disparus. L'Etat, pour sa part, est appelé à dire la vérité, «toute la vérité», au sujet des personnes qu'elle a mises au secret durant la tragédie nationale. Pour ce faire, ce ne sont pas les témoignages et le renseignement qui font défaut, car nombreux sont les auteurs, militaires soient-ils ou civils, qui ont, chacun à sa manière, écrit des livres et autres publications à cet effet. D'autres sources, selon lui, sont plus importantes encore pour peu que les institutions détentrices: police, gendarmerie, DRS... Sur un ton sporadiquement coléreux, le patron de la Ligue des droits de l'Homme, appuyé par ses collègues, n'a pas pris de gants pour s'en prendre au président de la commission Ad hoc. Chargé de mission, représentant personnel de Bouteflika, capitaine d'avant-garde... ce sont autant d'accusations adressées, non sans virulence, à M.Ksentini qui «pollue les droits de l'Homme», selon les mots d'Ali Yahia. Evoquant auparavant l'évolution des droits de l'Homme en Algérie, il a dénoncé la répression menée par les autorités contre les journalistes et a appelé à la libération du journaliste Hafnaoui Ghoul, de Mohamed Benchicou et Benaoum, respectivement directeurs de deux journaux, Le Matin et Erraï. Des journalistes que la Laddh entend irrémédiablement défendre. En parfait professeur des droits de l'Homme, Me Ali Yahia a appelé à enraciner, le plus largement possible, cette culture. Plus éloquent mais sur un ton mobilisateur, il appelle: «Il faut libérer la liberté!»