Les Américains et certains de leurs alliés, comme la Pologne, attendent avec inquiétude le rapport sur les tortures de la CIA qui promet d'être explosif Le Sénat américain devait rendre public hier un rapport sur les méthodes de torture utilisées par la CIA après les attentats du 11 septembre 2001, suscitant l'inquiétude d'une partie de la classe politique américaine et de certains alliés impliqués. Par crainte de représailles, des mesures de sécurité renforcées ont été mises en place autour des installations diplomatiques et des bases militaires américaines à l'approche de la publication du résumé, expurgé des informations les plus sensibles, de ce rapport parlementaire attendu depuis des mois. Barack Obama s'est entretenu par téléphone avec la Première ministre polonaise, Ewa Kopacz. Les deux dirigeants espèrent que la déclassification du rapport n'aura «pas d'impact négatif sur les relations entre la Pologne et les Etats-Unis», selon un compte-rendu de Varsovie. Le rapport doit en effet revenir, sans nommer de pays, sur les prisons secrètes créées par la CIA dans plusieurs pays étrangers pour y interroger certains détenus. La Pologne, qui nie, a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour sa «complicité» dans les tortures subies sur son territoire par un Palestinien et un Saoudien. Fruit de plus de trois ans d'enquête (2009-2012), le rapport de la commission du Renseignement du Sénat américain vise à faire la lumière sur le programme créé en secret par la CIA pour interroger des détenus soupçonnés de liens avec Al Qaîda, notamment par la simulation de noyade ou la privation de sommeil. «Le président pense qu'il est important qu'il soit publié pour que les gens aux Etats-Unis et à travers le monde comprennent exactement ce qui s'est passé», a expliqué Josh Earnest, porte-parole de Barack Obama, qui a mis fin à ce programme à son arrivée à la Maison Blanche en janvier 2009. Tout en reconnaissant qu'il n'existait pas de «bon moment» pour publier un tel document, M.Earnest a jugé que cela était indispensable pour s'assurer que «cela ne se reproduise jamais». Steve Warren, porte-parole du Pentagone, a indiqué que les centres de commandement régionaux avaient reçu l'ordre de «prendre les mesures de protection adéquates». Le rapport d'enquête confidentiel a été approuvé par la commission du renseignement du Sénat en décembre 2012 et ses membres ont voté en avril pour rendre public un résumé d'environ 500 pages. Depuis, la commission négociait avec la Maison Blanche sur l'ampleur des informations à expurger. Interrogée sur l'objectif de cette procédure, Dianne Feinstein, présidente démocrate de la commission, a jugé qu'il était salutaire pour «une société juste qui s'appuie sur le droit». Elle devait prononcer un discours au Sénat hier. De nombreux républicains ont dénoncé par avance la publication d'une enquête qu'ils jugent biaisée et dont la réalisation aura coûté, soulignent-ils, 40 millions de dollars au contribuable américain. L'ancien vice-président Dick Cheney (sous la présidence de George W. Bush) a vigoureusement défendu ces techniques d'interrogatoire, jugeant qu'elles étaient «totalement justifiées». «Le programme a été autorisé (...) et il a été examiné d'un point de vue légal par le ministère de la Justice», a-t-il déclaré au New York Times. Evoquant les agents de la CIA qui ont mené à bien ce programme, il a jugé qu'ils «devraient être décorés plutôt que d'être critiqués». Dans une tribune publiée dans le Washingtonia Post, Jose Rodriguez, ancien responsable de ce programme au sein de la CIA, a pour sa part dénoncé la «grande hypocrisie» des politiques sur ce dossier. «Nous avons fait ce qui nous a été demandé (...) et nous savons que cela a été efficace», a-t-il plaidé. L'une des questions récurrentes qui entoure ce programme secret est de savoir s'il a permis d'obtenir des renseignements cruciaux ayant permis, en particulier, de localiser Oussama Ben Laden, tué en 2011 au Pakistan lors d'un raid de commando américain. Début août, M.Obama s'était longuement exprimé sur ces techniques d'interrogatoire «que toute personne honnête devrait considérer comme de la torture», jugeant que les Etats-Unis avaient «franchi une ligne». Mais s'il avait dénoncé les méthodes, le président américain avait aussi appelé, à la surprise de certains démocrates, à mettre les événements en perspective. «Il y avait une énorme pression sur les épaules des forces de sécurité».