«Est-ce que Camus est à nous ou à vous?» Question d'un journaliste français Jamais invité sur un plateau de télévision algérienne, Kamel Daoud, chroniqueur talentueux et valeur sûre de la littérature francophone algérienne a fait sa première grande télévision sur la télévision française et, plus précisément, sur l'émission On n'est pas couché de Laurent Ruquier sur France 2. Il a été invité pour parler de son livre Meursault, contre-enquête, publié en 2013 et qui faisait partie de la sélection pour le prix Goncourt 2014. Un moment très attendu par les Algériens qui tenaient à découvrir cette plume aiguisée qui sévit quotidiennement sur le journal francophone: Le Quotidien d'Oran. Qu'avons-nous retenu de cette première prestation télévisée de notre nouvelle star de la langue de Molière et du «butin de guerre» de Kateb Yacine? On a découvert un Kamel Daoud timide qui affrontait avec prudence, avec «sobriété», les fleurs de Léa Salamé et les épines d'Aymeric Caron. On est loin de ce journaliste au tempérament sanguin et acerbe qui avait l'habitude d'être sans concession ni grâce dans ses chroniques magnifiques dans Raina Raykoum (notre avis est le vôtre). Il faut d'abord préciser que pour être invité à l'émission On n'est pas couché, c'est que vous avez un agent qui travaille pour votre promotion. Et à ce niveau, c'est les éditions Actes Sud éditrice du livre de Kamel Daoud, qui a tout organisé pour imposer sur le plateau son poulain, malgré que la bataille du Goncourt est déjà dépassée. Pour la précision, les éditions Act Sud a été fondée en 1978 près d'Arles par un écrivain d'origine belge Hubert Nyssen, dont le deuxième roman a été entièrement consacré à l'Algérie. Dans ce livre, intitulé L'Algérie, édité chez Arthaud en 1972, il écrivait «L'Algérie de Boumediene a relevé le défi: un gouvernement efficace et réaliste a su fixer à une planification d'urgence des priorités qui sont aussi l'amorce des structures de l'avenir.» Kamel Daoud, cet écrivain qui a éclaté en Algérie, a dû attendre qu'un éditeur sympathisant de l'Algérie moderne (même si Hubert Nyssen est mort il y a 3 ans) s'intéresse à lui, pour être (enfin) invité sur un plateau de télévision. Chez lui, ni la télévision publique l'Entv, ni la télévision offensive Ennahar TV, ni la télévision conservatrice Echourouk TV et encore moins la télévision progressiste KBC, n'ont eu la présence ou l'absence d'esprit d'inviter cette graine de Victor Hugo, cet héritage d'El Moutanabi et ce talent d' Hemingway. Kamel Daoud a affronté seul et sans préparation, les questions pièges des glaives croisés de l'Onpc, sur la repentance, l'islamisme radical, l'opposition, le pouvoir, le printemps arabe et la révolution. Même s'il a réussi à passer tous les pièges du train fantôme audiovisuel, Kamel Daoud, écrivain francophone à la limite de la francophilie, a tout de même pêché en qualifiant les Arabes de colonisateurs. En revanche, il a très clairement répondu sur la colonisation française, en déclarant: «La colonisation a été une violence, il faut que ça soit net et précis.» La direction de l'émission a chargé à la fin une «Arabe», Léa Salamé, fille de Ghassan Salamé, ancien ministre libanais de la Culture, de le questionner sur sa position controversée sur Ghaza et l'acidité de sa chronique sur les révolutions arabes dans Le Point. Là encore, Kamel Daoud a botté en touche en renvoyant tout le monde à ses responsabilités. Même si tous les ingrédients d'un passage télévisé réussi ne sont pas tous réunis, Kamel Daoud a eu tout de même le mérite d'exposer ses idées d'Algérien sur un plateau français. [email protected]