L'ancien gourou de la jeunesse urbaine déshéritée attend inlassablement son heure. Il y a quatre jours, Ali Benhadj, l'ex-numéro 2 du FIS dissous, depuis mars 2004, rentrait d'un périple oranais, qui l'a mené tour à tour, de Mostaganem à Oran, de chez le cheikh Mohamed Benaïcha, imam et docteur en théologie à la maison de Mohamed Kerrar, membre fondateur du FIS et figure emblématique de l'islamisme à l'ouest de l'Algérie. L'accueil qu'il a reçu dans la ville d'Oran motiva, jeudi passé, un important dispositif sécuritaire. Pas moins de cinquante policiers, gendarmes et agents des services de renseignement le suivaient pas à pas. A chaque halte, Benhadj en profite pour faire une critique acérée à l'endroit des autorités ou un bilan noir de la situation désastreuse de la justice et des droits de l'Homme en Algérie. Désormais, Benhadj attaque le pouvoir sur le terrain même de la démocratie et des manquements à cette forme de régime politique. Cette mue d'Ali Benhadj dérange - on le devine - les autorités, et si aucun grief sérieux ne peut être retenu contre lui, pour ces mini-démonstrations de force, les policiers se montrent intransigeants avec lui quand il s'agit de lui interdire l'accès à une mosquée ou la visite à un quartier urbain. Mieux, souvent, il lui est pratiquement interdit de parler en public ou de disserter chez son boulanger habituel, et encore moins d'avoir un auditoire aussi insignifiant soit-il. Seulement voilà, Benhadj trouve toujours les substitutifs aux mesures restrictives qui le touchent. Son cheval de bataille, ces derniers jours, c'est de profiter des «dourous» donnés à l'intérieur des mosquées par les imams dûment autorisés par le ministère des Affaires religieuses, pour soulever des interrogations, poser des problèmes et créer la polémique. «Il m'est interdit de parler, de faire des prêches et d'écrire, mais il ne m'est pas interdit de poser des questions et d'attendre à avoir des réponses satisfaisantes.» Et les questions de Benhadj - on le devine - tournent inlassablement autour des thèmes qui «piquent»: les droits de l'Homme, la prédication, les libertés, la justice, etc. La fosse commune découverte sur les hauteurs de Bougara et attribuée à l'action meurtrière du GIA, le procès de Fouad Boulemia, l'assassin de Hachani, etc. sont aussi autant de points remis en question, tout comme le ballet diplomatique des officiels français entre Paris et Alger (on connaît l'aversion de l'homme pour les autorités françaises). En clair, Benhadj transpose son combat sur un terrain éminemment politique et l'on comprend l'exacerbation des nerfs des agents chargés de le suivre et ceux chargés d'en lire les rapports et bulletins quotidiens. L'ambiguïté dans l'action de cet homme est qu'on a affaire à un religieux qui investit le champ politique et à un discours politique imprégné, d'une légitimité religieuse. D'où tout l'embarras pour les autorités algériennes d'aller encore plus loin dans les mesures qu'elles lui ont imposées pour le museler une bonne fois pour toutes. Pour tourner en dérision les «interdits» qui le frappent, depuis sa sortie de la prison de Blida, le 2 juillet 2003, Benhadj, convoqué presque chaque semaine à la sûreté de wilaya pour répondre d'une «infraction» évoque ses droits légitimes: d'avoir un avocat, de consulter un avocat-conseil, de connaître ce que dit le droit sur ces convocations répétitives à la police, etc. Mieux, il va d'APC en APC demander du travail. «N'importe quel poste me convient, même balayeur des rues d'Alger», précise-t-il en déplaçant de temps à autre le combat sur le terrain de l'absurde. L'homme, aujourd'hui âgé de 48 ans, reste le dernier des irréductibles de l'islamisme politique en Algérie. Trônant sur des nuages de foi de l'«illumination», il sait se montrer moins agissantqu'il ne l'est réellement, et sait attendre son heure avec une extrême assiduité.