Lutte de l'intérieur contre l'extérieur et course contre la montre dans un contexte national et international très défavorable à une nouvelle émergence des islamistes. Après la très médiatique visite, et qui a duré près d'un mois, de Rabah Kebir en Algérie, durant laquelle il a été question de la création d'un nouveau parti, l'ancien président de la délégation parlementaire du parti dissous, Anouar Haddam, propose à son tour par le biais d'un communiqué de presse, la création d'un parti politique. Lancée à partir de Washington, à l'occasion du 11 janvier, 15e anniversaire commémoratif de la démission précipité de Chadli Bendjedid et la suppression du processus électoral, cette initiative cherche à faire adhérer «ceux qui se sont opposés au 11 janvier 1992» et en appelle au président Bouteflika pour l'organisation d'un «congrès national de réconciliation». Affirmant qu'il n'attendra pas le feu vert des anciens dirigeants de l'ex-FIS pour commencer à bouger dans ce sens, il «tire» principalement sur Ali Benhadj et Abassi Madani, les deux figures emblématiques du parti dissous, et qui se sont toujours opposés à la création d'un nouveau parti sans la tenue d'un congrès des anciens dirigeants du parti, et dans le sillage desquels se tiennent aussi des leaders comme Ali Djeddi, Kamel Guemazi et Abdelkader Boukhamkham. Cette initiative de la part de Haddam, qui n'est qu'un ballon-sonde bien entendu, intervient trois mois après l'autre initiative lancée par le chef de l'Instance exécutive du FIS dissous à l'étranger, Rabah Kébir, le mois d'octobre 2006, lors de son séjour en Algérie, après quinze ans d'exil en Allemagne. Le retour de Kebir, les nouvelles idées qu'il avait émises et le large débat qu'il a suscité au sein de la classe politique et au sein de la mouvance islamiste, avaient fait réagir différemment les partis, chacun selon ce que lui dictait son idéologie ou son positionnement politique du moment. Mais tous avaient pu, à loisir, constater que les membres de l'Instance exécutive à l'étranger sont revenus avec des idées nouvelles et novatrices à la fois, et qui tendaient, à la fois, vers une autocritique objective et sans complaisance des actions antérieures de leur parti et des réalités actuelles: la citoyenneté, le retour à la légalité institutionnelle par une juste évaluation du contexte politique passé et présent et la nécessité d'aller vers une équitable réconciliation. Les idées émises par cette instance, et qui ont fait grincer des dents autant Ali Benhadj, Abassi Madani que Ali Djeddi, Guemazi et Boukhamkham, qui estiment qu'il faut discuter dans le cadre des «historiques» du parti dissous. Ces mêmes chefs changent d'avis peu à peu, sous l'influence d'une réalité qui dépasse tout le monde, et Abassi Madani lui-même dira, quelques semaines plus tard, dans une déclaration au journal qatari Al-Rayah', que, effectivement, «il a d'autres moyens que le FIS, pour s'exprimer», ajoutant qu'«il ne saurait y avoir de solution à la crise algérienne sans la résolution des causes l'ayant entraînée et il ne saurait y avoir de réconciliation sans le FIS, unique partenaire à prendre en compte». Dans une déclaration faite à L'Expression, en octobre 2006, Kebir disait: «J'ai toujours dit, et là je m'engage personnellement, que le FIS était un moyen, non une fin en soi. Ce moyen qui était le FIS a fait son chemin, a eu son temps et a pris fin. Sur la base des révisions dont nous avions discuté, tout à l'heure, il y a lieu de procéder à l'élaboration de nouvelles thèses sur la base de nouvelles règles. Je pourrais concevoir de continuer à travailler avec certaines démarches qui avaient prouvé leur efficacité et leur justesse, mais il faut rejeter ce qui a mal fonctionné. Maintenant, s'il se trouve encore des hommes qui estiment que tout notre passif était bien ou qu'il est sacré, à commencer par le sigle du parti, qu'ils assument ce point de vue en portant ses responsabilités.» Le débat politique proposé par l'Instance exécutive qui était rentrée en Algérie en force, avec ses quatre membres, Kébir, Ould Adda, Ghemati et Larbi Noui, avait d'abord reçu l'approbation tacite des autorités, qui trouvaient que ce nouveau langage, pour peu qu'il trouve écho auprès de la base militante, pouvait faire évoluer les choses vers plus de sérénité dans les rapports souvent houleux, voire explosifs, entre les autorités et les islamistes. Guerre des tranchées et des positions, guerre d'influence et de légitimité, lutte de l'intérieur contre l'extérieur et course contre la montre dans un contexte national et international très défavorable à une nouvelle émergence des islamistes: voilà où se posent actuellement le décor et le débat des chefs de l'ancien FIS. Haddam, qui représente le courant des «djazaâristes», est soutenu par le groupe D'hina, Zaoui, Filali et Mustapha Habbès. Kebir, promu chef de file des «modernistes», est appuyé de figures imposantes telles que Madani Mezrag, Ahmed Benaïcha, Mustafa Kertali et de tout le crédit que possède l'Armée islamique du salut, qui avait contracté, dès 1997, des accords secrets avec les autorités, et jouit de ce fait, d'un crédit certain auprès d'elles. Benhadj, gourou des salafistes et figure emblématique au sein de la jeunesse islamiste déshéritée, jouit, à ce jour, d'un rayonnement inégalable au sein de la base islamiste. Cependant, alors que ces trois grands courants issus de l'ex-FIS s'adonnent à une lutte d'influence et de légitimité, la troisième génération des jeunes djihadistes prend encore les maquis et reste sourde à toute proposition politique, et le Gspc, dont la connexion avec Al Qaîda fait craindre le pire, reste réfractaire à toute négociation et rejette la réconciliation nationale.