Un restaurateur a constitué un avocat pour punir trois jeunes qui n'avaient pas de quoi payer trois cuisses de... poulet. Nous écrivons souvent que la Justice a autre chose à faire que de s'occuper de problèmes mineurs. Et des problèmes mineurs, nos aïeux des Aurès, du Djurdjura, du Zaccar, de l'Ouarsenis de l'Edough, de Ozmor et autres Beni Senouss, les réglaient assis en position de tailleur, posément, calmement, sans élever la voix ni le ton, et assez souvent avec des sourires éloquents quant à l'issue desdits contentieux. Nous avions dénoncé, il n'y a pas si longtemps les parquetiers qui interjettent appel pour n'importe quelle affaire, même celles dites... «bidons». L'exemple de cet automobiliste qui est surpris au volant en compagnie de... Bacchus, est jugé. Le procureur réclame quatre mois d'emprisonnement ferme et une amende. Le juge du siège qui estime que cet ivrogne qui a pris le risque de conduire avec un 1,52 g dans le sang, le condamne à quatre mois mais assortis du sursis. Sursis? Surprise! Ce parquet interjette appel. Bon sang, s'écriera plus tard son avocate maître Akila-Teldja-Drif d'Alger-Centre: «Que veut donc le ministère public? Une peine de prison? C'est comme si nos taules avaient besoin de ce genre d'inculpés!» Dans une autre cour, des voisins s'accrochent, une voisine qui a ses entrées au parquet dépose plainte. Quatorze voisins sont poursuivis, entendus et envoyés devant la correctionnelle. Le jour du procès, renvoyé à trois reprises!!! les débats débouchent sur la relaxe. Les inculpés passent au statut car le procureur a interjeté appel. Que cherche la voisine? Que veut le représentant de la «société»? Ainsi et comme il fallait s'y attendre, la cour croule sous les appels dont 85% iront en cassation. La Cour suprême plie l'échine avec près de 230.000 dossiers à traiter. Mais l'affaire vécue en direct (live) depuis la salle d'audience du tribunal de Rouiba (cour de Boumerdès) aura crevé l'écran à cause du côté «comique» loin du drame ridicule sur son côté «poursuites» mais bénéfique pour cet espace friand de telles affaires. Il s'agit de trois jeunes de passage à Rouiba la Verte et qui, affamés, entrent dans un restaurant qui a la chance d'avoir un patron qui n'aime pas la hogra sous toutes ses formes, y compris l'escroquerie, le refus de certains clients de s'acquitter de l'addition. Oui, Omar, Rabah et Abdelkrim sont trois copains qui passent devant ce beau restaurant propre, net et très accueillant qui «invite» tout consommateur à y entrer sans salamalecs. Les trois jeunes prennent place autour d'une table à quatre places et commandent trois cuisses de poulet sans accompagnement aucun; ni riz, ni frites, ni merguez, ni salade: du poulet rôti. C'est tellement délicieux avec une dizaine de croûtons de pain bien cuit de Rouiba que les trois gus poussèrent un «hum» de satisfaction. Ils étaient repus. Mais au lieu de se diriger vers la caisse, ils prennent le chemin perpendiculaire qui mène sur l'avenue colonel Amirouche. D'abord, interdit, le patron ne dit mot. Puis il prend son portable et forme le numéro d'appel du commissariat du coin. La V.R. arrive aussitôt. Informés, les flics ne tarderont pas à ramener les trois jeunes qui n'avaient même pas achevé la digestion des trois cuisses. Présentés devant le procureur de la République, c'est le flagrant délit. Deux nuits et puis le procès arriva. Deux avocats et pas des moindres sont à la barre. Maître El Azhar Atmani pour la victime et Maître Benouadah Lamouri pour les trois inculpés d'escroquerie. Dans la salle, les «Rouibéens» qui adorent assister aux débats riaient sous cape. L'un d'eux s'approcha et siffla: «Monsieur, c'est vraiment risible.Trois cuisses coûtent un peu moins de 400 DA. Les honoraires d'un avocat sont énormes. Pourquoi donc Aziz le patron s'est-il aventuré à dépenser une grosse somme pour une si petite monnaie?» Son compagnon sourit et lança: «C'est pour faire diversion contre la justice si décriée!» Le procès débuta par une question du juge. «Alors qu'est-ce que c'est que cette histoire?» les trois jeunes hachèrent la tête: «nous sommes fauchés!» maître Atmani rétorque: «C'est pour cela que vous êtes fichus!» Maître Lamouri fait de l'humour: «Monsieur le président, nous exigeons la preuve que mes clients ont bel et bien dégusté les cuisses!» et alors, maître, «reprend la magistrature qui rit à pleines dents massacrées par la nicotine: «Nous exigeons la preuve matérielle que ces cuisses ont été bouffées! Nous voulons voir les...os!» La salle sourit et certains rient aux éclats sauf le papa de l'un des détenus. - Sauf maître que vos clients ont reconnu avoir bien mangé la viande blanche. - Ils l'ont reconnu au poste pas devant le procureur et le procureur n'est pas guidé par la police judiciaire, mais par l'obéissance à la loi. Le parquet est la colonne vertébrale de la justice. Maître Lamouri appuiera davantage sur le champignon et réussira à arracher un petit mignon sourire au président qui devait au plus profond de ses tripes maudire cette affaire de cuisses de poulet avalées par des gus fauchés, affamés et qui visiblement ont perdu au change car trois cuisses valent désormais les «honoraires» de l'avocat et celui du jour, à une famille qu'Allah bénisse et donc à... nourrir! Et pas seulement de poulet... le verdict a été mis en examen le temps pour le juge de déplacer le dossier.