En ce double anniversaire du 20 août 1955 et 1956, «il est temps d'appliquer la plate-forme de la Soummam». Des voix se sont élevées ce jeudi au CIP à l'occasion de la commémoration du double anniversaire du 20 août 1955 et 1956, organisée par la fondation du 8-Mai 45 à laquelle a été convié Me Jacques Vergès, pour réclamer que le document, qui a balisé le terrain à la victoire, soit appliqué et que son esprit serve de matrice à un véritable projet de société . L'ancien ministre de la Justice sous le gouvernement Ben Bella et avocat des militants FLN, Me Amar Bentoumi, a estimé que la date du 20 Août 1955 était chargée de symboles. Elle est la lame de fond qui a traversé toute l'Algérie assoiffée de liberté. «C'est un choc psychologique, un ébranlement qui a secoué toute la société. Le flux de militants qui ont rejoint le maquis après l'assaut donné dans les 42 villes, confortait la thèse de la quête de l'indépendance.» Il a ajouté que «Abane Ramdane et Larbi Ben M'hidi étaient ce que fut Carnot pour la Révolution française». Ce sursaut a eu un effet boule de neige sur tout le Maghreb. «C'est grâce à cette révolution que le roi du Maroc Mohamed V, expatrié par le colonialisme français, a recouvré son trône». L'orateur conclut en décochant une flèche: «N'est-il pas temps, a-t-il dit, à la France de reconnaître ses crimes et demander des excuses à l'Algérie?». Cette question a été suivie par une salve d'applaudissements. Le relayant, Me Vergès, l'invité d'honneur qui a montré patte blanche, a été accueilli comme un chef d'Etat par les présents, composés de parlementaires, d'ambassadeurs, d'anciens ministres, de moudjahidine et de badauds venus voir le grand avocat en chair et en os. Visiblement ému, il dira d'emblée que son combat, il le doit aux militants du FLN qui lui ont montré ce qu'étaient le courage et les vraies valeurs démocratiques. «Il y a des lieux qui inspirent et Alger m'a ouvert les yeux» n'a-t-il cessé de répéter, le regard embué de larmes et la voix tremblante. Un grand moment d'émotion qui a ajouté de la dévotion à l'atmosphère solennelle qui régnait dans la salle. Il évoquera les 100 militants qu'il a sauvés de la guillotine grâce à son bagout et la stratégie élaborée à l'époque. C'est dans le tribunal d'Alger qu'il a compris sa mission. Le procès qui allait déterminer la voie que dorénavant il devait prendre a fait tilt dans son esprit. «J'ai compris que ces hommes et ces femmes se battaient pour les vraies valeurs. Je me suis dit qu'en face, il y avait des juges qui ne se préoccupaient nullement de la justice. Ils étaient là pour exécuter des ordres. Je devais les humilier car ils représentaient l'establishment». C'est en se référant à ce procès historique qu'il remporta haut la main, que quelques années plus tard, il accoucha d'un livre intitulé «La Stratégie judiciaire» dans lequel il développa la tactique de défense utilisée pour extirper les moudjahidine des mains du bourreau. En entamant sa communication, portant le thème de «Du crime de colonialisme au crime d'Etat», il dira sans ambages que «le crime d'Etat est la violation de la loi par l'Etat lui-même, oublieux de ses principes, en vacance de sa propre légalité. La forme la plus extrême de ces crimes est le déni à des populations entières non seulement du bénéfice de la Déclaration universelle des droits de l'homme ou de l'habeas corpus mais du simple droit de vivre. Chasse à l'homme, pire que l'esclavage puisque celui-ci dans sa barbarie, était au moins soumis aux prescriptions du Code noir, tout cruel qu'il fut. Le génocide colonial est le crime par excellence de notre époque». Concernant la Révolution algérienne, l'orateur a clairement expliqué que les massacres perpétrés contre les Algériens découlaient de cette conception partagée aussi bien par les gens de la droite que ceux de la gauche et que ces derniers pouvaient être encore plus cruels que les premiers. «Lacoste et François Mitterrand qui ont fermé les yeux sur les exactions de l'armée française étaient des socialistes. Souvent les grands prédateurs partent en guerre au nom de grands idéaux. C'est le cas des Etats-Unis qui massacrent, torturent et avilissent des Irakiens au nom de la démocratie. Idem pour Israël qui a construit un mur comme celui de Berlin. Cependant les pays qui se réclament des droits de l'homme ne trouvent en cela nulle matière à s'indigner. C'est du révisionnisme». Il relèvera dans sa conférence que «le sexe est devenu un moyen d'humiliation. On invoque l'argument spécieux de soutirer des renseignements pour justifier la torture. Quand on tient en laisse des hommes, qu'on les tire par le cou ou encore qu'on sodomise des garçons de 12 ans et qu'on viole des petites filles de dix ans devant leurs parents, on nous parle de bavures. La vérité est qu'on nie l'humanité de l'autre en le traitant comme un animal». C'est l'esprit hégémonique qui caractérise ces actes barbares. Jacques Vergès publiera un livre en septembre prochain ayant pour titre «la Démocratie à visage obscène». Pour rappel, 12.000 personnes ont été massacrées par les soldats français en 1955. Les archives militaires des deux rives sont toujours verrouillées.