Mohamed-Amokrane Zoreli est enseignant chercheur à l'université de Béjaïa. Il est spécialiste des questions de développement local. Il revient dans cette interview sur le projet du nouveau découpage administratif. L'Expression: Le président vient d'annoncer un nouveau découpage territorial sur fond d'un bouillonnement social imminent. Comment appréhendez-vous cette décision? Mohamed-Amokrane Zoreli: Il est évident et visible que l'annonce a été motivée par une bonne intention, et non pas, comme le disent certains, pour le besoin de gérer les tensions. Cependant, la nécessité de mettre en place ce nouveau découpage dans l'espoir de voir se réaliser un bon décollage économique est devenue une évidence pour tout le monde depuis plusieurs années déjà. Je crois que ce sont les charges considérables que ça induit pour l'Etat qui ont poussé par le passé les gouvernants à reporter sa mise en oeuvre pratique. Certains parlent de «wilayas déléguées» et d'autres parlent de «wilayas» simplement. C'est quoi en vérité le problème actuellement? Pourquoi certaines régions du pays, notamment le Sud et les Hauts-Plateaux, peinent à émerger? Pensez-vous que le découpage administratif actuel soit inadapté? C'est clair que les moyens pratiques qui commandent nous demandent d'aller progressivement de wilaya déléguée à wilaya à part entière. Le découpage administratif actuel, qui ne tient compte ni des distances, ni de l'homogénéité culturelle, est pour quelque chose dans le marasme qui sévit, mais il n'explique pas tout. Le développement est une complexité: c'est l'école, la société, le mode de gouvernance, des types d'aménagement, des formes d'organisation, etc. Prenons n'importe quelle ville algérienne, dès qu'on l'aborde, le stress et le malaise nous saisissent. Ceci veut dire que dans notre pays, ça va mal pratiquement partout et à tous les niveaux. Et le découpage actuel, fait en 1984, n'est plus adapté aux nouvelles exigences de la société. Donc, un nouveau découpage s'impose? Ce que les gens ne comprennent pas, sans doute par paresse et manque de finesse d'esprit, c'est qu'un mode d'organisation n'est pas exclusif, c'est juste un cadre «facilitateur». Je pense donc qu'une autre forme d'organisation territoriale est nécessaire en Algérie, et (ré)apprendre la citoyenneté à la société algérienne puis en dégager de nouveaux quasi-contrats sociaux est une chose vitale mais elle ne se fera qu'avec le temps. Pour l'heure, je crois qu'il est impératif d'opérer un nouveau découpage mais qui doit s'inscrire dans le cadre d'une stratégie globale de réaménagement du territoire. Le développement est une affaire hautement stratégique et il faut s'y prendre avec stratégie. Certains milieux de l'opposition ont réitéré leur appel à une régionalisation. A votre avis, une décentralisation réussie se déclinerait comment? Dans l'absolu, ces milieux ont raison de plaider pour une régionalisation, en considérant toutes les vertus de celle-ci (équilibres régionaux, rapprochement des centres de décision des contextes d'action, etc.). Dans la pratique, par contre, ils passent totalement à coté de la plaque: est-il utile de décentraliser avec la situation sociale actuelle où la quasi-totalité des élus sont prête à brader les patrimoines de ses communes en une journée? Faut-il rappeler aussi que, malgré les apparences, les citoyens se positionnent dans les jeux politiques selon la logique tribale? Pour l'heure, il n'y a aucune étude multidimensionnelle consistante portant sur le type de régionalisation appropriée à la réalité algérienne. Il est donc, à mon avis, trop tôt de parler de cela.