Le starter est à zéro. Nous sommes au «prêt? partez!» Le procès tant attendu est enfin parti. La journée a commencé par de l'ordre et a fini par la lecture de l'arrêt de renvoi! Apparemment, l'impasse dans laquelle avaient été jetés les débats de l'affaire autoroute Est-Ouest venait d'être défoncée et la porte ouverte à la sagesse en vue de permettre à tous les accusés et inculpés de s'exprimer devant la justice. «Il y a tout de même des innocents, ici!» s'est exclamée une avocate impatiente de passer à la barre aider la justice dans la recherche de la vérité. Même les houleuses déclarations des uns et des autres semblent faire partie du passé. Le starter est à zéro. Nous sommes au «prêt? partez!». Maître Mohammed Djediat est certain que le procès sera juste et en droite ligne du respect du droit de la défense. Maître Akila Teldja est de son avis avec le vif espoir que ce procès se tienne enfin dans de bonnes conditions pour l'honneur de l'Algérie et de sa justice. Le tout sifflé sous une magnifique robe noire taillée certainement sur mesure et Abdelkader Drif le beau-père aurait été fier de voir sa bru dans cette élégante tenue digne des Drif-Belkacem; le préposé au maintien de l'ordre intérieur de la cour arbore un sourire qui n'a d'égal que la mine sereine de Hadj Mokrane le secrétaire général de la cour venu superviser l'organisation agrémentée par le placement judicieux des hommes de la Dgsn chargés de la sécurité de la justice locale. Des accusés en liberté provisoire Noureddine Lasnami arrive en compagnie de Abdenour Amrani de permanence tout comme Boualem Bekri venu pour les délibérations du lendemain. Mohammed Regad est dans les parages alors que M'hamed Yahia Messaoud se dirige vers le guichet unique pour retirer un arrêt en trois minutes parce qu'il faut préciser que ce procès n'arrête pas la Terre qui continue à tourner dans l'univers. «Oui, un tel procès ne se dirige pas vers la fin du monde!» commente un membre du Conseil de l'ordre par tant de tintamarre soulevé par - malheureusement - la corruption! Ce crime tant dénoncé mais jamais puni à temps à cause d'absence totale d'enquêtes achevées. Il faut vite préciser que depuis le lancement de la réforme, ce procès est l'unique à passer à la barre. Cette mise au point était utile surtout que malheureusement depuis 2003, on a tout fait pour gruger l'opinion publique en insistant sans formuler le fait que le dossier «Khalifa» était une affaire de... corruption, alors que c'est faux: c'est un dossier d'escroquerie à grande échelle doublée d'association de malfaiteurs! Et dans la foulée le second procès d'El Khalifa se tiendra dans une semaine à Blida... A l'intérieur de la salle d'audience, les premiers témoins sont déjà assis. A côté des inculpés devant eux des accusés en liberté provisoire ou sous contrôle judiciaire. Restent les détenus. Ils entreront dix minutes avant Tayeb Hellali, Sidi Moussa, Hadj Mihoub et Ahmed Hammadouche, toujours d'aplomb. Ben M'hidi, le procureur général, n'est pas encore sur le siège du ministère public et il sera prêt à toutes les batailles juridiques. Il est aussi prêt que toutes les parties et semble s'éloigner du concept de «robot» en vue d'être digne de sa vocation: représentant de la société. Et la société ou si vous voulez le ministère public demeure la colonne vertébrale de la magistrature. C'est pourquoi la réforme a entamé une large part dans sa direction. Et le parquet mis gravement en cause par Medjoub Chani, l'accusé principal a besoin d'une grosse réforme. En vue d'éviter que ne se répètent les sournoises et regrettables accusations balancées dimanche dernier, il faut impérativement et rapidement aller vers la présence d'un avocat lors de l'enquête préliminaire. Oui, il le faut et Tayeb Louh, le ministre de la Justice l'a promis et il y arrivera. Maître Farid Nachef, l'avocat de l'ex-colonel Khaled croise Maître Chnaïf, Maître Shahrazed Lahdi de passage à la cour, juste pour revoir son collègue Maître Aziz Brahimi, heureux comme tout du retour du collectif d'avocats de Chani. Maître Belarif a une canne à la main, un de ses amis fait de l'humour: «Alors Maître Tayeb, on porte une arme blanche dans la salle d'audience?» Et l'avocat de Hussein Dey de rétorquer: «Non c'est une canne marron!» Les interprètes ont été «déplacés» comme l'avait souhaité Hellali, la semaine dernière... 10h06. Rien à l'horizon. Le début du procès est encore loin. Nous ignorons la cause de ce retard surtout que nous étions à Oran mercredi dernier, les audiences avaient toutes débuté à 9 heures tapantes oui, O.K., mais Alger reste Alger avec ses bas et ses «Oh». L'huissier de salle vérifie la sono car tout le nécessaire a été fait durant la semaine. 10h14. La composition revient et s'installe. Ben M'hidi, le procureur général, a placé sa belle paire de lunettes et commence une première consultation du dossier. Le président commence par remettre de l'ordre dans la salle. Les avocats sont priés de libérer des places: «Ceux qui sont venus assister seulement ont compris le message et ont quitté les places, la cour et le Ruisseau.» 10h17 Aïssa appelle les parties, toutes les parties. L'appel terminé, Maître Sidhoum s'avance du pupitre des juges. Le juge appelle les deux avocats constitués par le bâtonnat après la déconstitution - dimanche dernier - du collectif. Maître Shahrazad Lahdi et Maître Azziz Brahimi sont présents tout de même de quoi honorer la décision du Conseil de l'Ordre. Arborant le Ouissem de l'ALN, Maître Mohammed Salah Annane qui venait du 7e étage se dirige vers la salle d'audience, salue ses confrères et s'en va. Puis Hellali élève la voix: «Policier! ramenez une bassine d'eau. Tout portable dont la sonnerie crépitera, sera balancé dans l'eau, car il est impoli au moment de l'audience en cours, qu'un phone sonne et perturbe le déroulement du cours des débats» dit-il sans sourire. Kamel Hadj Mihoub, Sidi Moussa, lui, garde une altitude de réserve pas étonnante du tout. Et voilà Maître Fatnassi qui vient d'arriver. Il est 10h35, les jurés sont à l'appel. A 9h15, voilà Maître Miloud Brahimi, flanqué de son confrère et ainsi Maître Chaoui qui entrent dans une salle d'audience où a déjà pris place Aïssa, le greffier de l'audience alors que Nacef, l'un des adjoints de Belkacem Zeghmati, le procureur général supervise la pose sur le pupitre des cinquante et quelques boîtes contenant les pièces maîtresses propres à un procès en criminelle. Maître Mahmoud Abassi échange un doux sourire ave Maître Habib Benhadj devant Maître Merrah dont le beau visage est encore embelli d'une grosse barbe noire fournie en bataille. Maître Benamor Aïd rigole un bon coup avant de reprendre son air sérieux sous une chevelure à queue de cheval bien tressée. 9h38, Tayeb Hellali, le juge et ses deux anges gardiens entrent et ouvrent l'audience et ressortent, histoire d'avoir respecté l'horaire. Maître Bitam vient d'arriver de Batna: une véritable expédition via Hammam Skhouna! Les détenus ne sont pas encore au box des accusés. Les jurés sont aussi présents. Ils n'attendent que le tirage au sort pour être fixés sur la durée du procès: plus d'une semaine probablement. Maître Kamel Maâchou cause avec Maître Nacera Tinedeghar qui salue de loin Maître Mahmoud Nouri, Maître Mounira Djerboua et Maître Karima Ould Ali que vient de saluer Maître Tayeb Belarif, flanqué de son «ombre» Maître Zahia Aït-Ameur en pleine discussion avec Maître Amine Sidhoum qui fait la bise à Maître Nouri qui s'éponge déjà le front, humidité oblige. Le brouhaha enfle dans la salle d'audience alors que l'officier de police passe en avertissant: «SVP pas de sonneries intempestives.» Les inculpés étrangers sont sagement installés. A peine si l'un d'eux balance un mot. Maître Khaled Bergueul est debout. Il se sent prêt à toute velléité d'atteinte à la robe noire ou à la justice. «Que voulez-vous? dit-il, le sourire large. Je suis algérien avant d'être avocat!» (allusion aux incidents de dimanche 19 avril) Maître Chorfi vient d'entrer, sa robe sous l'aisselle. Nous ignorons s'il est constitué. Il s'approche et crache: «Non, c'est juste pour revoir les confrères et les consoeurs.» Puis c'est l'entrée en catimini de Maître Mokrane Aït-Larbi qui rejoint vite un groupe de confrères qui le mettent au courant de tout ce qui s'est passé le 19 avril... Une sonnerie tinte, le phone est confisqué par Hellali qui regrette son geste mais tient à sa promesse. Maître Khaled Bourayou suit le tirage au sort des deux jurés et leur serment. Il est 10h40. Le tribunal criminel est enfin constitué sans accrocs ni embûches. Le président attend des observations, alors que les témoins rejoignent la salle réservée à cet effet. Les places sont désormais disponibles. Des avocats curieux s'assoient pour suivre cet intéressant procès. 10h48. Aïssa le greffier se lève et débute la lecture de l'arrêt de renvoi de plus de 150 pages. Il apparaît que le 9 octobre 2009, des enquêteurs relevant de la défense nationale constatent une drôle de relation entre Chani Medjdoub et des Chinois chargés de l'aménagement de l'autoroute Est-Ouest. Chani est connu comme étant un dynamique intermédiaire dans les marchés, moyennant des «subsides» ou «pots-de-vin», c'est selon de quel côté on se trouve. Chani connaît très bien le secrétaire général du ministère des Travaux publics qui connaît le colonel Khaled du ministère de la Justice, qui est estimé par des connaissances. Mohamed Bouchama, alors secrétaire général du ministère des Travaux publics, prend rendez-vous avec Chani et un ponte chinois. L'enquête va vite. Et tout va tourner autour de Chani et Bouchama, chargé de lever les obstacles administratifs moyennant... C'était parti pour les éléments des services de sécurité. Les pots-de-vin sont versés dans un compte à l'étranger. Chani court dans tous les sens depuis l'agence nationale aux Chinois heureux de l'aubaine venue des Algériens. Puis, les pourcentages pleuvent. Les Chinois se lamentent. Chani est là pour les soulager des lourdeurs bureaucratiques. On comprend dès lors que tout tourne autour du seul Bouchama Mohamed qui maîtrise très bien tous les mécanismes financiers, administratifs et... judiciaires. Sauf que le même Bouchama a oublié que son pays ne peut être une république «bananière» car des hommes et des femmes veillent sur le pays de Ben M'hidi, Hassiba Ben Bouali et Amirouche. Ce qui explique les nombreux cadeaux et autres achats de villas de plus de 11 milliards, par exemple. Celui qui veut faire du cinoche, aille au... cinéma! A force d'avoir à l'oeil la «petite» et la «grosse» Tayeb Hellali, le président, va effectuer une intempestive intervention en direction de Aïssa le greffier qui était bien parti pour lire correctement tout l'arrêt de renvoi et donc, se farcir plus de deux heures d'efforts et de sueurs, car le climat est très humide. Le juge lâche: «Greffier, cessez de dire: le colonel Khaled! Qu'est-ce donc que ce concept? C'est une tentative de pression? Je suis juge, moi. Je ne crains personne.» A ce moment-là, Aïssa sentit ses genoux se remplir d'eau. Il ne pouvait quand même pas répondre au détenteur de la police de l'audience, et nous venions alors d'assister à un appel en direct live d'une censure qui ne dit pas son nom. Un lourd silence, surtout qu'au début de l'audience, Hellali avait ordonné aux policiers de ramener une... bassine dans laquelle seront noyés tous les portables confisqués. C'était peut-être de l'humour, mais promettre un triste sort au malheureux portable qui grésille, c'est revenir aux accusations de torture par... Chani. Et heureusement que ce n'était que de l'humour, sinon quelque part, les droits des... portables pourraient se plaindre. Et surtout que dans ce dossier, on parle beaucoup d'aveux soutirés sous la... torture! Le ton du greffier a baissé mais il a gardé son sang-froid. L'ambiance aussi retombe dans la lourdeur avec cette fastidieuse lecture de l'arrêt de renvoi qui sera interrompue par un Hellali, certes, dans son costume, mais aussi dans une «djellaba» ligotante qui s'appelle la «police de l'audience». Peut-être qu'aujourd'hui, avec l'entrée dans le vif du sujet, à savoir l'interrogatoire des accusés, le procès ressemblera alors à un procès, pas à du n'importe quoi. Une chose est certaine, l'opinion publique qui attend des rebondissements à la barre, peut baisser la radio car le seul arrêt de renvoi balise les débats, et celui qui veut faire du cinoche, aille au... cinéma!