Cette date continuera à représenter un moment fort dans l'histoire de l'Algérie Les massacres du 8 mai 1945 ont été un véritable virage dans l'histoire de la France coloniale et de l'Algérie colonisée. Une possibilité venait d'être détruite: celle de la solution politique. A jamais. L'Algérie s'apprête à célébrer le 70e anniversaire des massacres du 8 mai 1945. Des centaines de livres ont été écrits sur cette tranche de l'histoire du Mouvement national algérien. Mais beaucoup reste à dire, notamment du coté français. En effet, cet épisode est demeuré médiatiquement marginal durant très longtemps en France où les Français, notamment certains universitaires, y portent un regard fort réducteur, voire falsificateur. En Algérie, le 8 mai 1945, célébré chaque année, est considéré comme étant l'un des moments majeurs de l'histoire de l'Algérie combattante qui a permis la socialisation rapide de l'idée d'indépendance portée jusque-là par un seul parti: le PPA. Les massacres du 8 mai 1945 ont joué un rôle d'accélérateur de l'Histoire Généré par l'Histoire, une conjugaison de paramètres interdépendants, le 8 mai 1945 n'a été prévu par aucune partie. A l'occasion de la célébration de la victoire des Alliés contre l'Allemagne, la France a appelé à des manifestations auxquelles participeront des militants nationalistes algériens qui s'étaient ouvertement positionnés contre le nazisme. Le PPA et les AML, présidés par Ferhat Abbas, saisirent cette opportunité et appelèrent à la participation à ces manifestations en brandissant le drapeau algérien et des mots d'ordre en faveur de l'indépendance de l'Algérie. A Sétif, environ 10 000 manifestants envahirent les rues dès 8h, chantant l'hymne du PPA Min Djibalina (De nos montagnes), tout en défilant avec des drapeaux des pays alliés vainqueurs. Mais, très vite, les mots d'ordre du Mouvement national jaillirent: «Libérez Messali», «Nous voulons être vos égaux» ou «À bas le colonialisme» étaient autant de slogans brandis par les manifestants. Spontanément. Mais c'est quand Aïssa Chéraga, chef d'une patrouille de scouts musulmans, arbore le drapeau algérien au milieu de pancartes où on pouvait lire «Vive l'Algérie libre et indépendante» que la situation a dégénéré. Devant le Café de France, en effet, le commissaire Olivieri tente de s'emparer du drapeau, vainement. Des Européens, en marge de la manifestation, assistant à la scène, se précipitent dans la foule. Un jeune homme de 26 ans, Bouzid Saâl, porte le drapeau algérien mais est abattu par un policier. Immédiatement, des tirs provenant de policiers provoquent la panique. Les manifestants en colère s'en prennent aux Français et font en quelques heures 28 morts chez les Européens, dont le maire qui avait essayé de s'interposer et 48 blessés. Les dés furent jetés. Le mouvement s'étend très rapidement et gagne Kherrata et Guelma. Le sous-préfet Achiary de cette dernière localité, un ancien résistant, fait tirer sur les manifestants. Le massacre commence. Bilan: à Sétif, la manifestation a tourné, après l'intervention des forces de police, à l'émeute qui se propagea dans la région entre Sétif et Bougie (Béjaïa), en particulier dans la région de Kherrata. Selon Rey Goldzeiguer, «la répression des insurgés fut assurée par l'armée et de façon secondaire par des civils. Elle fit plusieurs milliers de morts». À Guelma, entre 1500 et 2000 Algériens ont été massacrés. Bien que passé à la postérité sous la dénomination de «massacre du 8 mai 1945», ce carnage aura duré plusieurs jours et ne prendra fin officiellement que le 22 mai. Mais la répression plus ou moins organisée allait continuer à s'abattre sur la population qui vivait dans un état de terreur permanent. Le 28 février 1946, le rapporteur de la loi d'amnistie (qui fut votée) déclarait en séance: «4500 arrestations furent ainsi effectuées, 99 condamnations à mort dont 22 ont été exécutées, 64 condamnations aux travaux forcés à temps et il y aurait encore 2500 indigènes à juger.» Ce massacre allait, dans l'esprit de la France coloniale, mettre à mort le Mouvement nationaliste algérien et saboter à jamais l'élan indépendantiste qui commençait à socialiser aussi bien parmi les élites que parmi la paysannerie. C'est l'effet inverse qui fut produit. En effet, les nationalistes algériens qui privilégiaient jusque-là la solution politique avaient compris que seul le recours aux armes allait permettre à l'Algérie d'accéder à son indépendance. C'est dire que, finalement, c'est «la solution politique» qui avait été mise à mort par la France et non pas l'idée d'indépendance. C'est d'ailleurs l'onde de choc produite par ce massacre qui allait pousser le PPA à mettre en place, en 1947, l'Organisation spéciale pour commencer à préparer sérieusement l'insurrection armée. Le massacre du 8 mai 1945 a aidé les Algériens à comprendre que, comme disait Frantz Fanon dans Les Damnés de la terre, «l'ennemi ne cède que le couteau sur la gorge». Et cette leçon, très bien théorisée par l'auteur de Peau noire, masque blanc dans l'ensemble de son oeuvre, a été très bien retenue. L'examen décisif du 1er Novembre 1954 en a d'ailleurs donné toute la signification. Cette date continuera donc à représenter un moment fort dans l'histoire de l'Algérie en mouvement vers la rencontre d'elle-même. A ce titre, elle constitue une halte au cours de laquelle il est vital de s'interroger sur le passé de l'Algérie mais aussi et surtout sur son avenir, d'autant plus qu'une hydre historienne française, d'inspiration lambertiste, s'adonne à une véritable «réécriture» de l'Histoire de l'Algérie contemporaine.