L'émergence puis la chute brutale du parti restent à ce jour une histoire à réécrire. Invité de l'émission politique Visite privée de la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera, Abassi Madani est revenu sur les principaux faits qui ont contribué à l'émergence, la victoire, la «descente aux enfers», puis la déchéance du Front islamique du salut, ainsi que sur son propre itinéraire de petit fidaï de l'Organisation secrète jusqu'à son emprisonnement en 1982, à la suite des événements de la Fac centrale d'Alger, la création du FIS, et, enfin, son arrestation en 1991. Abassi Madani, installé confortablement dans un hôtel dans un des pays du Golfe, officiellement pour y suivre un traitement médical, paraissait vieilli, usé. Il s'exprimait avec peine et arrivait difficilement à rassembler ses souvenirs. L'ancien homme fort du FIS, qui avait failli déboulonner le pouvoir algérien dans ses fondements donnait l'image d'un vénérable vieillard dont la blanche gandoura ne rappelle que très vaguement l'inénarrable tribun qui enflammait les foules de jeunes en 1990-1991. Madani a qualifié ses relations avec l'ancien président de la République d'«excellentes», sans qu'il y ait une quelconque collusion d'intérêts, tout comme ses relations avec Mouloud Hamrouche et Mohamed Mohamedi, chef du gouvernement et ministre de l'Intérieur à l'époque, et qu'il voyait assez souvent. Pour Abassi Madani, la chance n'a pas été donnée à la paix pour permettre de porter le discrédit sur lui. «Lors de la grève de mai-juin 1991, j'ai essayé d'entrer en contact avec la présidence pour trouver une issue à la confusion qui régnait, mais en vain. Une fois, un responsable à la présidence m'avait répondu que la réponse était qu'il n'y avait pas de réponse à donner.» Madani cite aussi la fameuse réunion qui avait regroupé d'un côté le chef du gouvernement, Mouloud Hamrouche, et de l'autre côté lui-même et Ali Benhadj en tant que premier et second responsables du Front islamique du salut. L'ordre du jour avait été de débattre des nouvelles lois sur le découpage électoral et de rester dans le cadre de la République. Par la suite, il y a eu de graves dérapages. Pourquoi? «Je ne sais pas. Au moment où nous tentions de trouver le compromis, j'ai été arrêté.» N'est-ce pas parce que Benhadj avait été très intransigeant, jusqu'au-boutiste et totalement radical? Madani a des mots très tendres pour celui qu'il considère comme le véritable gourou de l'islamisme algérien: «Le frère Benhadj est peut-être plus modéré que moi, et jamais il ne prend de décision extrême tout seul (...). Plus généralement, il m'arrivait de ne pas être d'accord avec lui, de diverger sur un avis, mais on avait les mêmes prises de positions politiques.» Concernant les thèses extrêmes consignées dans son livre, écrit en prison, sur le pouvoir et les devoirs des musulmans, et intitulé Raf'â el-litham dans lequel on retrouve un Benhadj largement séditieux et révolutionnaire, Madani dit ne pas avoir vu ou lu le livre. Le morceau choisi de son entretien concerne certainement la partie où il parle des infiltrations et des manipulations dont le Front islamique du salut avait fait l'objet. «Dès le début, je me doutais que le FIS avait été infiltré.» Quels sont les hommes qui ont été manipulés ou qui ont été le cheval de Troie de ces infiltrations? Il cite Bachir F'qih mais aussi tous ceux qui ont, par la suite, gagné des postes importants dans le gouvernement (allusion faite à Ahmed Merani et Saïd Guechi). Il cite curieusement une des figures importantes du FIS, puis des GIA, Saïd Mekhloufi: «Cet homme avait écrit un livre (La désobéissance civile, Ndlr) qui a porté atteinte, par la suite, au FIS et, mieux, a été un bon motif pour nous discréditer. Ce livre a été écrit sans que personne ne soit au courant, ni le majliss echouri ni le bureau national.» Pourtant, c'est en pleine grève illimitée que le livre séditieux avait été distribué, alors que la direction même du FIS n'était pas encore emprisonnée et sans que Saïd Mekhloufi ne soit convoqué ou jugé par ses pairs. En outre, cette interprétation des faits formulée par Abassi Madani risque d'être une tentative de disculper son parti des dérives qui avaient accompagné son parcours politique. Cernée de zones d'ombre, la période 1988-1992, puis celle qui a suivi la dissolution du FIS et l'émergence du GIA reste opaque, mystérieuse, et qu'on nourrit par la désinformation et le mensonge. La deuxième partie de l'entretien promet d'être plus réelle, car elle sera collée à l'actualité, et nous aurons l'occasion de voir comment Abassi Madani regarde l'avenir et les distorsions de l'islamisme algérien.