Je ne peux revivre le 8 Mai sans penser à l'excellente série réalisée par Ali Fateh Ayadi ou au magnifique film de fiction de Hamma Hazourli, Douleurs, sur le thème du génocide entamé ce jour-là. Jour de la victoire en France, pour l'Algérie, le 8 mai est un jour de deuil. Si le jour est férié en France, c'est parce qu'il célèbre la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Pour l'Algérie, le 8 Mai 1945 est le triste jour où débutèrent des massacres d'une violence inouïe. Ironie de l'Histoire, ces deux événements, l'un symbolisant un pas vers la paix, l'autre une régression totale de l'humanité, pourtant, le même jour, sont intrinsèquement liés. Férié en France, le 8 Mai 1945 est un jour de fête. Il célèbre la capitulation de l'Allemagne nazie de Hitler, mais surtout la fin d'une guerre terriblement violente en Europe. Si le 8 Mai marque un tournant majeur de la seconde Guerre mondiale, cette date ne signifie cependant pas l'arrêt total des combats, puisque la guerre contre le Japon durera encore quelque mois, jusqu'aux abominations commises à Hiroshima et à Nagasaki. Les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata ont commencé le 8 Mai 1945. Pendant plusieurs semaines, l'armée française se livrera à des massacres terribles entraînant la mort de milliers d'Algériens, principalement à Sétif, Guelma et Kherrata. En mai 1945, l'Algérie est un département français. Le 8 Mai 1945, alors que des défilés sont organisés pour fêter la capitulation allemande, des milliers de personnes défilent pacifiquement pour célébrer la fin de la guerre en Europe. Parmi les personnes rassemblées, figurent des drapeaux français et algériens, des slogans en faveur de la libération de l'indépendantiste Messali Hadj fusent. Les autorités françaises n'apprécièrent pas ces signes d'indépendance et réclamèrent que les banderoles patriotiques et les drapeaux algériens ne soient pas arborés. La manifestation va alors déborder lorsqu'un policier français tire sur un jeune Algérien, un tir qui lui est fatal. Du coup, les manifestants sont pris de panique et des émeutes éclatent causant la mort d'une centaine d'Européens. Des représailles disproportionnées et punitives vont alors avoir lieu faisant un nombre innombrable de victimes algériennes. Selon les autorités françaises de l'époque, le bilan a été de 1165 morts. Mais un rapport des services secrets américains a annoncé un bilan de 17.000 morts. Quant au gouvernement algérien, il avance un chiffre de 45.000 morts. Selon les historiens, il y aurait eu entre 8000 et 20.000 morts. Certains parlent ainsi de «génocide». Le 8 Mai 1945, la télévision française de l'époque n'en parlera pas, préférant taire ce massacre qui causa la mort de milliers d'Algériens. À cette époque, Ferhat Abbas et Messali Hadj notamment entretiennent l'espoir d'une reconnaissance algérienne et d'une indépendance algérienne. Ces espoirs seront dramatiquement déçus par les événements de Sétif. Malgré la contribution algérienne à la victoire, grâce à la participation des Algériens à la guerre mondiale, ils n'auront aucune reconnaissance. Leurs aspirations à l'indépendance ne sont que désillusions. Rien de plus évocateur que les massacres qui le démontrent. Leurs revendications de l'indépendance ne seront pas entendues. Ainsi, les massacres de Sétif indiquent les prémices de la guerre d'indépendance, qui verra le jour 10 ans plus tard. Ces événements dramatiques marqueront à jamais l'histoire commune de l'Algérie et de la France. Comme l'a souligné en 1974 Abdelaziz Bouteflika «les relations entre la France et l'Algérie peuvent être bonnes ou mauvaises, en aucun cas elles ne peuvent être banales». 70 ans après le massacre, le devoir de commémoration reste important pour s'assurer qu'on ne reproduise pas les erreurs du passé, sans pour autant tomber dans l'accablement et une logique de vengeance qui replongeraient notre civilisation dans les instants les plus sombres de l'Histoire et rouvriraient une plaie désormais cicatrisée. La visite d'un ministre français sur les lieux du crime est un timide premier pas sur le long chemin d'une reconnaissance d'un crime d'Etat.Mais comment faire reconnaître ce crime contre l'humanité, quand certains responsables politiques algériens n'ont pas coupé le nombril qui les relie à leur mère, la France.