Un bon festival c'est comme un bon repas: il nécessite pour sa composition, soin et harmonie. Le moins qu'on puisse dire c'est que la sélection 2015 était assez indigeste. Avec des films un peu lourds comme La Forêt des songes de Gus Van Sant (qualifié de plus mauvais film du festival) ou ratés comme les deux choix français: Mon Roi de Maïwen ou Julien et Marguerite de Valeria Donzelli. L'Italien Paolo Sorentino n'a pas fait non plus, comme à son habitude, dans la finesse avec Youth sur les affres de la vieillesse. À l'image de l'affiche du film sur laquelle sa comédienne, la Roumaine Madalina Diana Ghenea, ex-fiancée de Leonardo DiCaprio, montre son postérieur aux deux comédiens ébahis, Erreur! Référence de lien hypertexte non valide. et Erreur! Référence de lien hypertexte non valide. Le Hongrois Laslo Némès a, quant à lui, carrément coupé l'appétit avec Le fils de Saul. Un kapo juif circule à proximité des fours crématoires à la recherche du corps d'un adolescent gazé qu'il croit être son fils pour l'enterrer dignement. L'extermination comme on ne l'avait jamais montrée avec caméra à l'épaule, bruits assourdissants, cris et gémissements. «Une expérience sensorielle. Redonner du sens en faisant notamment appel aux sens du spectateur» dit le réalisateur. Mais tout de même un peu gênant. Nanni Moretti avec Ma Mère, porté aux nues par nombre de festivaliers, n'a vraiment pas fait là son meilleur film, pourtant taillé, du moins le pensait-il, pour la palme: une cinéaste, Margherita, tourne une fiction sur un conflit salarial, alors que sa mère se meurt d'une infection pulmonaire. Quelles préparations culinaires savourer? Un va-et-vient incessant entre le plateau de tournage et la chambre d'hôpital finit par devenir trop systématique à lasser plus d'un spectateur. Sans parler de John Turturo en chef d'entreprise qui en fait des tonnes dans une série de gags usés jusqu'à la corde. Les «dorayakis» (petites crêpes fourrées au «an», une pâte confite de haricots rouges) que confectionne avec amour et délicatesse la cuisinière Tokue, dans le film subtil et émouvant de Naomi Kawase An. Dans Amnésia, Barbet Schroeder suggère une paella soigneusement préparée et parfumée d'aromates par Martha (la délicate Marthe Keller) qui vit seule, face à la mer à Ibiza, depuis quarante ans après avoir fui l'Allemagne nazie. Le film, qui se déroule dans les années 1990 est mélancolique, voire bucolique, loin des paradis artificiels du premier film de son auteur, More. Sinon, au menu, et sur la Croisette toujours, les succulents raviolis à la viande que la douce Tao confectionne pour son fils dans Mountains May Depart du Chinois Jia Zhang-Ke: Tao aimée par deux hommes, a choisi d'épouser Zang un affairiste sans scrupules qui fantasme sur l'Amérique (au point d'appeler leur enfant Dollar) au grand désespoir de Lianzi, un mineur pauvre mais sincère. Sur un quart de siècle, un magnifique portrait d'une Chine en pleine mutation. Ne pas oublier, non plus, les délicieux samossas d'Ephraïm, un jeune garçon éthiopien qui tient la recette de sa mère décédée. Confié à des parents éloignés, par son père parti chercher du travail à la ville, il les vend sur le marché pour aider sa famille, au grand dam de son oncle qui pense que la cuisine est une affaire de femmes. Lamb premier film très réussi de Yared Zeleke intronisait pour la première fois l'Ethiopie à Cannes. Enfin, nous ne saurions terminer sans l'incontournable couscous qu'on pense indispensable d'inclure dans tous les films du Maghreb. C'est donc celui que Fatima cuisine pour sa fille étudiante dans le film de Philippe Faucon. Adapté du livre Prière à la lune, un livre de Fatima Elayoubi, une ancienne femme de ménage marocaine, il raconte de façon un peu schématique le combat d'une mère analphabète et divorcée pour payer les études de sa fille aînée, Nesrine. Dans son premier film, Ombres blanches (avec Rouiched) Saïd Ould-Khelifa avait fait mouche, avec une réplique au goût de «rass el hanout» que Zakia Tahiri donnait à Safy Boutella, en riant aux éclats: «Ma spécialité c'est le goulash!», le couscous... polonais, comme chacun ne le sait peut-être pas... Tout cela nous conforte dans une certitude que le cinéma est une véritable cuisine. Et que du palmarès, il n'y a pas à faire tout un plat, surtout quand les frères Coen, sont aux fourneaux... L'abus de ketchup n'est pas loin... Au menu du palmarès... Du coup, la 68e carte du festival de Cannes, concoctée par les cinéastes américains Joël Coen et Ethan Coen, serait plutôt surprenante, en mettant en avant des oeuvres plutôt mineures et laissant sur le bas côté des films unanimement salués par ces gourmets de critiques... La France qui remporte trois toques: Palme d'or, à la surprise générale, à «Dheepan» de Jacques Audiard, périple d'un réfugié politique tamoul sri-lankais en banlieue parisienne. Le film est gâché par un dernier quart d'heure insensé: Dheepan, doux et travailleur, se transforme soudain en purificateur pour nettoyer la cité des trafiquants de drogue. «Recevoir un prix de la part des frères Coen c'est quelque chose d'assez exceptionnel», a déclaré le réalisateur du Prophète, ajoutant qu'il pensait à son père, le scénariste et dialoguiste Michel Audiard. Emmanuelle Bercot, qui n'était pas favorite, remporte le Prix d'interprétation féminine pour son rôle dans Mon Roi de Maïwen, récit d'une femme qui se souvient de son idylle avec un séducteur escroc. Vincent Lindon repart avec le Prix d'interprétation, très convaincant dans La loi du marché de Stéphane Brizé. Le comédien très ému a été ovationné pour les spectateurs du grand auditorium Lumière. «Je dédie ce prix aux citoyens laissés pour compte», a-t-il déclaré, référence au rôle de chômeur qu'il interprète. Deux Prix pour deux «plats» atypiques: Le Fils de Saül de László Nemes, (Grand Prix) pour cette fiction-choc hongroise sur Auschwitz et The Lobster du Grec Yorgos Lanthimos Prix du Jury: Dans un futur proche, toute personne célibataire est arrêtée, transférée à l'hôtel et a 45 jours pour trouver l'âme soeur. Passé ce délai, elle sera transformée en animal de son choix. Bon appétit, comme on ne dit pas, dans ce cas-là. Hou Hsiao-Hsien, favori jusque-là, est remercié de la «fourchette artistique», un Prix de la mise en scène pour The Assassin, fresque grandiose dans la Chine du XIe siècle avec une chorégraphie qui fait des personnages les pantins d'un destin implacable. Surprise! Le réalisateur mexicain Michel Franco à défaut de tortillas bien chaudes, a reçu l'équivalent d'un bon d'achat qui équivaut à un Prix du scénario, pour Chronic qui met en scène de manière quasi documentaire un aide-soignant (Tim Roth) qui se dévoue corps et âme à ses malades. Deux grands perdants, donc des plats ratés ou pas du goût des jurés culinaires: Nanni Moretti donné gagnant par l'ensemble de la presse internationale pour Ma Mère, une oeuvre intimiste qui n'a pas convaincu les frères Coen plus habitués des films d'action. Et notre (mets) favori Mountains May Depart du Chinois Jia Zhang-Ke, superbe description, à travers trois personnages, de la Chine contemporaine qui sombre dans la mondialisation. Tournée en trois parties avec trois formats d'images différents, cette fresque est aussi une chronique romanesque très attachante. On ne laissera pas de pourboire, du coup!