Scène du film Menacé de mort lui et ses comédiennes, avec son dernier film, le réalisateur franco-marocain est interdit de projection au Maroc où fait rare et ce, avant même aucune demande de visa d'exploitation, il suscite des avis partagés... A peine projeté la semaine dernière au festival de Cannes, dans le cadre de la Semaine des réalisateurs, que le nouveau film de Nabil Ayouche Much Loved suscite un tollé général au Maroc. D'abord interdit de diffusion par le ministère de la Communication qui a imposé son veto, avant même que le réal ait demandé le visa d'exploitation (une première au Maroc) que le gouvernement se dépêche d'ouvrir une enquête à l'encontre du réalisateur déjà menacé de mort sur les réseaux sociaux, lui et ses comédiennes dont Lubna Abidar, comme elle nous l'avait assuré à Cannes. Le motif du délit? montrer la prostitution sur grand écran et salir estime-t-on l'image du Royaume chérifien et de la femme marocaine. Or, ce métier le plus vieux du monde existe bel et bien à Marrakech et ses alentours depuis des lustres et d'aucuns ne s'en cachent vraiment. Jusqu'au jour où un réalisateur est venu leur lancer au visage cette abominable chose qu'ils «n'oseraient voir» pour paraphraser Tartuffe, car tout le fond du problème est là. Un film coup de poing Le sexe tabou dans les sociétés maghrébines et musulmanes est pourtant courant ces derniers temps dans le cinéma marocain et la vie courante même de ses sociétés... Que ce soit dans Casanegera, sur la planche de Leila Kilani, Mort à vendre de Faouzi Bensaidi, ou encore plus récemment dans ce très beau film en noir et blanc de Nouredine Khmari, Behind the sea, le sexe a toujours été montré à l'écran au Maroc et plus que dans aucun autre pays maghrébin, à l'instar de la Tunisie et surtout de l'Algérie où il est carrément impensable. Cependant et c'est là que le bât blesse, surtout lorsque le sexe n'est souvent accepté que quand il vient de l'Occident. Interdit de projection au Maroc, le film de Nabil Ayouch cette fois n'effleure pas le sujet mais il en fait sa problématique,- c'est là où est toute la différence- celle à laquelle le public est obligé de s'y confronter une fois pour toutes. Aujourd'hui donc, le nouveau film de Nabil Ayouch suscite ainsi une polémique sans précédent et ce, depuis la sortie de cinq extraits du film sur le Net. Des images volées en fait, à en croire le réalisateur qui indique qu'elles étaient destinées au départ au festival de Cannes. Si la plupart des Marocains s'agitent sans avoir vu le film, c'est aussi en raison de la bande annonce qui montre quatre prostituées dans un véhicule parlant un langage grossier celui somme toute de leur milieu et même s'il est vulgaire, il n'en demeure pas moins celui de l'histoire du film qui, rappelons-le, est une pure fiction, même si inspirée de fais réels à cent pour cent et encore. Car, comme l'avait si bien souligné Nabil Ayouche lors du débat qui avait suivi la projection de son film à la Quinzaine des réalisateurs «Ce que j'ai vu et entendu pendant le un an et demi que j'ai passé à préparer ce film, est au-delà de ce que vous voyez dans le film. La vie de ces filles est d'une violence indescriptible. Pas seulement à cause de la violence physique ou verbale qu'elles peuvent subir à un certain moment du film mais par une violence liée à une forme d'oppression, d'industrialisation qui en fait véritablement des objets humiliés et seules surtout. Bien sûr, ce regard peut sembler dur.» Estimant d'emblée par ailleurs qu'un film sert aussi à déranger il répondra à notre question à savoir «n'avez-vous pas peur de choquer certains pays musulmans?» en affirmant tout de go: «Non, je n'ai pas peur. Je l'ai dit, ce film pourra effectivement heurter certaines sensibilités. Vous savez, il y a des gens qui face à une certaine réalité comme d'autres réalités tout aussi dures dans d'autres domaines, acceptent de voir, de se confronter et puis d'autres qui ne veulent pas et préfèrent mettre leur tête dans le sable. Ils vont commencer à dire: mais pourquoi ce film, pourquoi ce sujet? le monde est comme ça. Moi j'espère que ce film va permettre d'ouvrir, au-delà, des polémiques qui peuvent surgir, peu importe, un véritable débat public, une véritable discussion, chez vous, chez moi, dans le Monde arabe (...) on est dans une problématique qui choque, qui interpelle, beaucoup de gens dans le monde, donc forcément ça dérange.» Solidarité ou pas, et après? Sur la page officielle du film, sur Facebook, circule depuis vendredi un communiqué signé par la production du film qui sans doute excédée par tant de dépassements et de dérapages de toutes sortes a tenu à apporter ces rectificatifs: «Depuis quelques jours, sont diffusées de manière illégale sur Internet des images qualifiées d'extraits du film Much Loved de Nabil Ayouch. En notre qualité de producteurs du film, nous tenons à préciser que: plusieurs séquences qui circulent actuellement de manière clandestine ne figurent pas dans Much Loved et représentent une forme de manipulation de l'opinion publique pour donner une image négative du film, de ses actrices et de son réalisateur, Ces actes malveillants sont répréhensibles par la loi et nous avons décidé de porter plainte devant les tribunaux compétents, Ceux qui font circuler ces images en prétendant qu'elles font partie de Much Loved sont donc dorénavant passibles de poursuites judiciaires et enfin ceux qui ont décidé de faire circuler ces images n'apaisent pas les tensions liées à la diffusion du film, bien au contraire ils cherchent à les attiser dans l'objectif de nuire et de continuer à entretenir la polémique.» Ironie du sort, si le film est taxé par certains de pornographique, l'on finit pas rajouter ainsi de l'huile sur le feu en inventant des scènes de toutes pièces pour enfoncer encore plus le clou et nuire à ce film qui pourtant met en scène une réalité crue mais bel et bien vraie de quatre filles qui essayent de vivre surtout dans cette jungle, entre tapin le soir et solidarité le matin et générosité enfin, quand elles le peuvent envers leur famille. Car la plupart font ceci, soit pour venir en aide à leur famille pauvre ou pour tenter le voyage une fois pour toutes en vue de trouver le bonheur ailleurs. Ce qui, somme toute, existe partout dans le monde. Ce qui est choquant aujourd'hui en fait, c'est cette hypocrisie persistante qui continue dans les sociétés maghrébines, car un tel sujet serait passé inaperçu si un Européen l'aurait fait. Hélas! chez nous (Maghreb), les tabous liés au corps faisant rage, a fortiori liés aux relations sexuelles hors mariage, ce film a permis de réveiller les vieux démons des garants de la bonne moralité qui espèrent profiter de ce film pour imposer leur puritanisme triomphant et imposer leur loi teintée de religiosité primaire sur les autres. Si ce film est effectivement bourré de clichés, il n'en demeure pas moins que cela reste un choix artistique du réalisateur qu'il faut respecter, qu'il soit choquant ou pas et ne mérite donc pas ce remue-ménage, du fait que personne n'a tenté de régler le fond du problème, ce fléau qui en effet existe mais profite bien à beaucoup de Marocains, celui du tourisme sexuel connu par tous. Enfin, notons que depuis vendredi dernier, jour de sortie en avant-première à Paris du film, près de 80 cinéastes et producteurs français et européens ont dénoncé la «censure» visant Much Loved. Parmi eux, on citera Stéphane Brizé, Jean-Pierre et Luc Dardenne, Arnaud Desplechin, Agnès Jaoui, Laurent Cantet, Pascale Ferran, Costa-Gavras, Michel Hazanavicius, Riad Sattouf ou encore Bertrand Tavernie. Mais cela servira-t-il à grand-chose au Maroc?