Contrairement à certains hommes imbus d'eux-mêmes, il ne tire pas la couverture à lui. De son vrai nom Sid-Ali Sekhri, cogérant de la librairie El-Ghazali, n'est plus à présenter. Licencié en psychologie clinique et vice-président de l'Aslia (Association des libraires algériens), mais aussi mélomane et boulimique de littérature russe et sud-américaine, ce passionné de la chose artistique et culturelle a plus d'une corde à son arc. Gros plan d'un touche-à-tout de talent. En remontant la rue Didouche Mourad (ou en la redescendant, cela dépend...), on se retrouve nez à nez avec un «drôle» de libraire. Son nom est connu du Tout-Alger: Sid-Ali Sekhri. En privé, comme dans le boulot, Sid-Ali Sekhri vaut le détour. De la séduction, cet homme marié qui fait quinze ans de moins que son âge, sait qu'il en a à revendre. L'oeil aux aguets derrière ses lunettes de premier de la classe, le sourire enfantin, ses mains en démonstration permanente, le look savamment décontracté, il est, comme disent quelques-unes de ses fidèles clientes, «un bébé Cadum plein de charme» (ce qu'attestent également toutes ses connaissances). Plein d'attentions avec la gent féminine, prévenant avec les hommes, attentif aux uns et aux autres, il a pour chaque client(e) un mot gentil, une anecdote rigolote qui, outre le rire, engendre parfois une réflexion plus profonde qu'il n'y paraît. Et tout cela avec un certain talent oratoire et gestuel typiquement méditerranéen. Voilà quelqu'un qu'il faut croire sur parole. Croire tout à fait lorsqu'il dit que tout lui est venu par hasard: «Jusqu'à la dissolution de l'Enal (Entreprise nationale du livre, ndlr), je ne savais pas que j'allais devenir libraire». «Librairie livre-échange», fonction qu'il revendique hautement, Sid-Ali Sekhri a assez vite témoigné, il faut le souligner, de sa capacité d'adaptation. Et cela même s'il n'a pas fait son entrée dans le baromètre, - très controversé - du «Point» et de «l'Express», «des personnalités artistiques et culturelles qui comptent le plus». «Je n'ai pas besoin de prouver, me dit-il à voixbasse, presque timidement, que je suis meilleur qu'un autre». Ou encore, entre une gorgée gourmande de thé fumant, au son de la voix nasillarde de feu Hadj M'hamed El Anka qui pleure ses amours perdues: «J'essaie de faire mon boulot du mieux que je peux. Le reste...». Du «neuf», Sid-Ali Sekhri en a apporté. Il a notamment diminué la distance entre lecteur, libraire et auteur. Pas un week-end ou presque, cette année, où il ne fasse l'actualité : ventes-dédicaces, contacts permanents avec des associations de parents d'élèves, des institutions à caractère socio-éducatif. Popularité immédiate! Les entretiens qu'il a accordés comme cogérant de la librairie El-Ghazali sont triés sur le volet pour ne pas dire rarissimes, et cela vaut sans doute mieux pour lui. Contrairement à certains hommes imbus d'eux-mêmes, il ne tire pas la couverture à lui. Il «valorise» ses associés et leur rend un vibrant hommage: «Sans un travail d'équipe où chacun est complémentaire, rien de durable ne peut se faire». Le livre, Sid-Ali Sekhri n'a pas d'autre rengaine. Non sans raisons. «Chez lui, le bouillonnement intellectuel ne s'arrête jamais», selon l'expression de Bendif (ancien directeur de l'Enal, ndlr), qui ajoute: «Ça correspond chez lui à quelque chose de profond. Ce qui le branche avant tout, c'est le contact humain, c'est l'échange avec autrui». Sid-Ali Sekhri passe plus de temps chez les éditeurs, les importateurs de livres et à la librairie qu'à la maison. «Je ne fais que mon travail, tout mon travail, rien que mon travail». S'il s'assigne une mission, c'est à coup sûr celle-là: faire partager à «l'immense minorité» (dixit Blas de Otero, poète espagnol), dans un pays «où la culture et la lecture sont le dernier souci des pouvoirs publics et où n'importe qui s'improvise n'importe quoi», le rarissime plaisir qu'il retire quotidiennement, dans la lumière crue de cette librairie où beaux livres, essais, recueils de poésie et romans vivent en bon ménage, de la fréquentation amoureuse, jouissive, olfactive des choses de l'esprit. Sid-Ali Sekhri, qui se garde de toute allusion fielleuse en public, ne dédaigne pas d'aborder le sujet avec des connaisseurs du livre, chaque fois que l'occasion lui en est donnée. Ainsi, ce lecteur assidu est convaincu que «le livre doit être soutenu au même titre que le pain ou le lait». Pour lui, l'avenir des librairies et la stratégie d'une politique culturelle du livre qui tient compte du pouvoir d'achat du citoyen vont de pair. Sera-t-il entendu par madame la ministre de la Culture quand celle-ci parlera des moyens budgétaires promis par le président Abdelaziz Bouteflika pour sa politique culturelle? Prions, mes frères...Avec une cote de popularité qui pète le feu! Sid-Ali Sekhri peut s'écrier: «Mission accomplie!» Ce serait mal le connaître. «Je refuse de me reposer sur mes lauriers. Car j'aime une librairie debout, battante...». A Sid-Ali Sekhri, rien d'impossible. A condition, toutefois, que le «rêveur éveillé» qui rêve d'une «insurrection culturelle» se révèle capable de se remettre en cause à chaque étape. Dans le cas contraire...Finalement, Sid-Ali Sekhri n'est qu'un rêveur éveillé au long cours! Un homme de goût, de culture, de curiosité et de partage. Et c'est bien ainsi...