Dans l'antichambre de l'éternité, un jeune Algérois narre sa triste destinée... C'est parce que la vie est une chienne ici plus qu'ailleurs, c'est parce que la vie nous pousse à espérer inexorablement, fatalement même, quand tout nous échappe, nous manque et nous tue, que l'être humain ou plutôt l'Algérien, n'a de cesse de se chercher, de chercher l'autre ou un semblant d'humanisme dans l'autre. Noirceur certes, désillusion d'une jeunesse longtemps spoliée de ses droits, fût-il celui d'aimer et d'être aimé, misérable et acculée au misérabilisme, désoeuvrée mais qui s'accroche comme un animal à ce bout d'os comme un rêve qu'elle ne cesse de caresser. Malgré tout et consciente de sa fâcheuse condition, elle veut s'en sortir et croit paradoxalement en son lot de bonheur futur, fût-il maigre. Avec la rage au ventre, elle espère atteindre un jour l'autre côté de la mer, quitte à tout laisser derrière elle. Oublier enfin ce sac de malheur et réapprendre à vivre tout naturellement. C'est un peu de cela qu'il s'agit dans le premier roman de Roshd Djigouadi. Ce jeune producteur et réalisateur nous avait habitués à parler de cinéma. Dans son nouveau-né littéraire, c'est de nouveau des «images» qui nous sont données à «lire» tellement la force descriptive de son histoire est parlante! «C'est un roman sombre qui fixe la situation des jeunes hittistes qui cherchent à sortir de la mélasse dans laquelle ils sont embourbés. Ils sont en rapport total avec la société. Un vocabulaire extrêmement riche procède de l'intérieur du personnage Adel», a expliqué Youssef Sayeh lors d'une rencontre animée au siège de la librairie Chihab. «On est dans un pays où on tue le rêve. Ici, on t'enlève l'oxygène, je ne parle pas spécialement du pouvoir. En Algérie, il y a les féodaux et le peuple qui crève. Je parle de haine entre Algériens. Nous sommes dans un pays de blocage. Paradoxalement, il y a cette solidarité incroyable entre les petites gens. Ils savent qu'ils sont perdants dès le départ mais partent tout de même dans une sorte de quête, notamment d'affection», confie l'auteur de Il aura pitié de nous. L'histoire déchirante du roman est celle d'un gars hittiste comme il y en a tant dans chaque coin de rue, adossé à n'importe quel mur, égrenant le temps à jauger la dernière des demoiselles qui passent en aspirant à une vie hypothétique meilleure. En attendant, il «squatte» (Adel) chez ses parents, quelques carreaux de la salle de bain en guise de chambre à coucher, vivant de larcins ou parmi une file d'attente d'une ambassade. Il traîne son désespoir et son sac de corps, comme ce cahier que traîne ce Malien, Omarou, bien décidé à aller en Europe et devenir un grand écrivain...Tous attendent, mais décident quand même de bouger et s'il leur arrive malheur...Dieu «aura pitié» d'eux, là-haut, contrairement aux gens d'ici bas. Inévitablement, Roshd Djigouadi, en parlant de la société et de nos cassures, marque une halte générique et réflexive sur la décennie noire. Ses mots sont parfois brutaux, hargneux, dédaigneux, renfermant tout le mal-être d'une génération désenchantée, aliénée, brutalisée, dont les rêves sont quasiment séquestrés, mais cependant, n'a jamais eu autant soif de vivre et de «niac» pour avancer et surmonter les obstacles...Flirtant sans cesse avec le danger suicidaire, elle ne tend en réalité qu'à «exister». Une ombre à la fenêtre et voilà Adel, fantasmant sur la silhouette de cette fille. La réalité nous rattrape. Sabéha a été mariée de force à un émir par son frère. Elle a tenté de s'échapper du maquis, mais a été reprise par les terroristes. A son retour au camp, l'émir lui taillade le visage pour qu'elle ne s'échappe plus et ne puisse plus plaire à aucun homme. Lors d'une communication téléphonique avec Adel, elle lui révéle cette vérité, ce dernier ne trouve pas les mots pour réconforter la jeune fille. Celle-ci se suicide et Adel se sent coupable de sa triste fin, lui qui avait cru trouver enfin un confident pour extérioriser son mal-être. Une gifle qu'on reçoit en pleine figure pour nous renvoyer à la dure et amère réalité. «Pour être courageux, il faut avoir peur», a dit quelqu'un dans un film, et bien pour vivre, il faut, semble-t-il, goûter un peu à la mort. Le roman de Roshd Djigouadi, sans prétendre donner des leçons de vie, porte un regard critique, certes acerbe, pathétique, triste, colérique, mais non dénué d'humanisme. C'est ce qui le rend si particulier. Au fond du chaos, on peut y déceler un brin de générosité et de solidarité... Un roman pétri de «spiritualité» que le réalisateur Rachid Benallal prévoit d'adapter à l'écran.