Egal à lui-même, maîtrisant parfaitement l'ensemble de ses dossiers, Sidi Saïd a accepté de nous accorder un entretien à la veille d'une bipartite qui s'annonce décisive pour les travailleurs de la Fonction publique. Une occasion aussi pour revenir sur des sujets aussi importants que l'est le code de la famille, que l'Ugta soutient activement, jusqu'à menacer de déployer la grosse artillerie, en cas de besoin. Il s'est également agi de la démarche suivie par Bouteflika et Ouyahia, en train de casser des tabous, d'avancer et qui méritent donc d'être soutenus sans que la centrale perde pour autant son autonomie, ni les prérogatives qui sont les siennes. Quant au Snmg, il semble bien que les travailleurs doivent se contenter de bien peu en attendant que la machine économique redémarre enfin. Sidi Saïd y croit, qui va jusqu'à dire que l'Algérie vit présentement un tournant décisif et historique qu'elle devra adroitement négocier sous peine de sombrer, de nouveau, pour de nombreuses années. L'Expression: La bipartite, prévue ce jeudi, intervient en pleine rentrée sociale quelque peu mouvementée. Quels sont les résultats qui en sont attendus ? L'ordre du jour de votre rencontre avec le gouvernement ne risque-t-il pas d'en être quelque peu modifié? Abdelmadjid Sidi Saïd: Le mouvement ne nous effraie pas tant qu'il est accompagné par de la vivacité syndicale. Cela dénote une bonne santé de notre organisation. L'action syndicale ne doit jamais être figée. Nous sommes heureux de constater que l'Ugta dispose de structures qui portent à bras-le-corps les revendications des travailleurs. Pour ne parler que de la santé, je dois dire que lors de mes diverses rencontres avec le ministre, il a lui-même admis le bien-fondé des revendications soulevées. Des engagements ont même été pris sur la base des rapports fournis par notre fédération. Mais, hélas, ils n'ont pas été concrétisés. La situation des hospitaliers est quand même très alarmante. Il y a aussi l'éducation, les finances et bien d'autres secteurs qui montent au créneau. Si l'Ugta contrôle certains mouvements, il en est d'autres qui lui échappent totalement. Est-ce que l'ensemble de ces questions seront incluses à l'ordre du jour de cette bipartite dont l'intitulé, au fil des jours, s'est réduit en peau de chagrin? Non. Cet ordre du jour a été arrêté depuis le départ. Il s'agit principalement du statut général de la Fonction publique. Je signale que nous parlons de ce sujet depuis 1991. Il revenait régulièrement dans les bipartites et les tripartites jusqu'à 1998 où nous avions enfin trouvé un consensus. Mais on a considéré qu'il existait quelques points inacceptables dans le texte élaboré par le gouvernement de l'époque. Nous avons donc demandé et obtenu du gouvernement de Benflis que ce texte soit retiré de l'APN. Entre-temps, il y a eu le rapport Missoum Sbih, porteur d'une vision globale sur la Fonction publique. Un groupe de travail a été mis en place en octobre 2003, au lendemain de la bipartite tenue à la même époque. Il s'agissait de trouver un statut qui soit plus conforme aux besoins et défis nouveaux posés à l'administration algérienne. Il ne s'agissait nullement de se délester des fonctionnaires. Le rapport Sbih a ainsi été inclus dans les documents utilisés par le groupe de travail afin d'y piocher les points que nous jugions positifs. Le texte final est arrivé à maturation. Mais il reste deux ou trois questions qui n'ont pas trouvé de réponses consensuelles. Il s'agit principalement du fameux article 18 relatif à la contractualisation. Celui-ci prévoit que les emplois des ouvriers professionnels ou des services sont soumis au régime de la contractualisation. A l'avenir, tout recrutement au niveau de ces services obéira à cette nouvelle réglementation. En revanche, l'histoire, qui a été véhiculée concernant la compression de plusieurs centaines de milliers de contractuels, une fois ce texte adopté, est absolument fausse. L'article 23 de ce même texte lève toute équivoque en soulignant clairement que nul ne sera compressé dans le cadre de la mise en application de ce nouveau statut général de la Fonction publique. Ne seront concernés que les nouveaux recrutés. Mais beaucoup d'entre eux iront à la retraite alors que ceux qui les remplaceront seront contractualisés. Ne s'agit-il pas là d'une sorte de bombe à retardement puisque le nombre de concernés ne cessera d'aller crescendo? Non, il ne s'agit pas à proprement parler d'une bombe à retardement. Il s'agit pour nous, lors de cette tripartite, de trouver un ancrage consensuel qui fasse en sorte que cet article 18 ne soit plus aussi tranchant. Ce qui veut dire? Cela sous-entend que le mot contractualisation devra disparaître de cet article. Il faut que les choses se fassent au cas par cas. L'objectif de l'Ugta, en somme, est d'éviter l'externalisation. Nous souhaitons donc éviter la sous-traitance, comme cela se fait dans d'autres pays. Globalement parlant, l'avantage de ce texte, côté syndical, c'est qu'il y a eu un travail avec l'ensemble des fédérations relevant de la Fonction publique. Le texte, amené à maturation par tous, fait l'objet d'un véritable consensus au sein de l'Ugta, ce qui nous place véritablement en position de force. Où est-ce qu'il n'y a pas eu accord avec les représentants de la direction de la Fonction publique au sein du groupe de travail mixte? Le désaccord concerne quasi uniquement cet article 18. Pour certains autres articles, une dizaine approximativement, les malentendus se posent simplement sur le plan de la formulation concernant des questions de forme. Le débat que j'ai eu avec Ouyahia, et que je reprendrai d'ici peu de temps (l'entretien a eu lieu ce lundi, quelques heures à peine avant la seconde rencontre entre le secrétaire général de l'Ugta et le chef du gouvernement. Ndlr), doit nous permettre de trouver une formulation qui satisfasse nos revendications. Si pour notre part, nous souhaitons que cet article soit abrogé, Ouyahia soutient au contraire que l'on aille vers une reformulation. Si un consensus est trouvé autour de cette question, nous aurons en main un document qui, sans être parfait, cadrera beaucoup mieux avec le métier de fonctionnaires à l'intérieur des institutions relevant de la Fonction publique. Il faut faire ça maintenant. Nous avons perdu trop de temps sur ce dossier. Une fois ce projet de loi adopté en bipartite, il devra passer par le conseil de gouvernement et celui des ministres. Nous gardons ainsi bon espoir que le texte atterrisse sur le bureau de l'APN au printemps 2005. Une fois ce statut adopté, nous allons aborder un chantier plus complexe. Il s'agira de revisiter tous les textes d'application pondus depuis 1966. il y a 442 textes. Ils concernent différentes institutions. Ils vont des statuts particuliers aux circulaires en passant par les décrets...Il y a une forêt de textes, donc, souvent contradictoires. Ils faudra arriver à mettre une cohérence entre ces différents textes sur trois aspects. Sur le plan de la carrière, il faudra la revaloriser. Nous connaissons aujourd'hui une véritable débandade. Concernant les salaires, il a quand même 78 points indiciaires allant de 12 à 25 dinars, quand ce n'est pas plus. La véritable augmentation du pouvoir d'achat passe essentiellement par le point indiciaire. Enfin, il faudra redonner autorité et dignité à des fonctionnaires qui, de nos jours, sont devenus de vains mots. Un fonctionnaire se considère marginalisé dans son poste de travail, mais aussi dans sa vie de citoyen au sein de la société. Il est temps que cessent toutes ces aberrations. C'est ce qui explique que le point nodal de cette bipartite est le statut général de la Fonction publique. Oui, donc il y aura quand même d'autres points? Quitte à me faire mal comprendre par les autres catégories, je me dois de dire par honnêteté intellectuelle que la revalorisation des fonctionnaires de la Fonction publique est une priorité. Je me fais fort de trouver un accord avec le chef du gouvernement à propos de ce statut. Il est vrai, toutefois, qu'il y aura d'autres points. Le plus important est celui de la stratégie industrielle... Oui... Il sera aussi question, bien sûr, des dossiers récurrents constitués par les décisions de justice et les salaires impayés. Sur ce chapitre, outre les mesures coercitives que nous préconisons afin que l'employeur applique les décisions de justice, je suis de ceux qui pensent qu'il faut aller vers un code du travail dans le cadre de la mise en place du pacte économique et social. Nous aborderons aussi le sujet du fonds de soutien à l'investissement et à l'emploi. Mais il y a un autre sujet récurrent qui semble occulté ici. Il s'agit des privatisations. Même si depuis votre dernier coup de gueule il avait été entendu que rien ne se ferait désormais sans l'accord du partenaire social, il n'empêche que des parties au sein du gouvernement reviennent assez souvent à la charge. Qu'en est-il au juste? Permettez aussi que je rappelle que le président Bouteflika, dans son discours de ce dimanche, a mis en avant le désengagement de l'Etat de la gestion de l'économie. Je dois dire maintenant qu'il faut éviter de parler avec hypocrisie et en arriver à un langage franc, sans langue de bois. Parfois, il faut trouver le courage de dire des vérités même si elles sont amères. Aujourd'hui, nous ne sommes pas maîtres absolus de la gestion de ce que j'appellerai la cité économique. Doit-on demeurer dans la perception dogmatique des choses? Ma réponse est non. Si l'on considère qu'il n'y a rien en dehors du secteur public, nous allons droit vers le gouffre. D'abord, il faut démystifier le terme privatisation. Que l'on s'entende définitivement sur le contenu de ce terme. Le secteur public est aujourd'hui géré de manière fonctionnarisée, laquelle génère de trop nombreuses pesanteurs. Ainsi, au lieu de progresser, ce secteur ne cesse de reculer. Si nous remontons dans les réformes économiques, nous constatons, en y regardant de près, qu'il n'y a pas eu réformes, mais seulement restructuration organique du même portefeuille des entreprises publiques. Si l'on remonte à 1988, la loi sur l'autonomie des entreprises a fait que les grosses boîtes publiques ont été éclatées en de multiples filiales. Au lieu de faire montre d'imagination à cette époque, les réformes de 1990 ont mis en place les fonds de participation pour gérer les mêmes portefeuilles. Ensuite, les mêmes entreprises démembrées ont été restructurées en holdings. Nous en sommes actuellement aux SGP. Ainsi, les entreprises performantes en 1988 se retrouvent aujourd'hui dans la zone rouge avec toutes les conséquences économiques et sociales à l'endroit des travailleurs. Nous avons fait de la réforme organique, pas économique, ce qui en explique le cuisant échec. Aujourd'hui, avec quelque 1 300 entreprises publiques, employant près d'un million de travailleurs, ces dernières se trouvent dans une angoisse totale. Il ne sont responsables en rien de cet état de fait. Celui-ci est uniquement dû au fait que l'approche faite en matière de réorganisation de l'entreprise publique était étatique et non pas économique. Nos entreprises auraient hélas, pu bénéficier d'une remise à niveau depuis bien longtemps, pour être aujourd'hui présentes sur le terrain de la compétition. Ainsi, si le terme privatisation est compris comme une dynamique économique visant une remise sur pied de la cité économique, je ne peux qu'accepter. Mais s'il ne s'agit que de se délester d'un fardeau, alors je dis non. Donc, la réforme pour moi signifie avant tout, regagner la confiance des travailleurs en permettant enfin aux entreprises publiques de s'affirmer sur le marché national et, pourquoi pas, même sur le marché international. La privatisation qui permettra d'aller vers ce schéma, pourquoi la rejeter si elle comporte également un risque zéro sur les salaires, l'emploi et la représentation syndicale? Ce que nous rejetons, c'est le bradage avec, à moyen terme, la disparition de l'outil de production national. Je ne crois pas que l'Ugta, ni le gouvernement, ni le président de la République, pourrait cautionner une pareille démarche. Il existe quand même un article dans la loi qui permet à l'acquéreur de changer d'activité au bout de cinq années... L'Etat ne reste pas les bras croisés durant ces cinq années. Oui, mais pour revenir au discours de Bouteflika, l'Etat se désengage de la gestion économique... Si une entreprise meurt, l'Etat est responsable en tant que régulateur. Il perd également un outil de production et de création de richesses. Il est vrai que je ne peux pas répondre à ces objections dans l'état actuel des choses. Ce que je dis en revanche, c'est que si on parle de privatisation à travers un mécanisme qui permette de garder un maximum de précaution, nous ne voyons pas d'inconvénients à discuter. Mais s'il s'agit seulement de se désengager, ici je reprends le mot, je crois que c'est un risque à ne pas franchir. Ni du côté de l'Ugta, ni de celui des pouvoirs publics. Les conséquences en seraient bien trop désastreuses pour tous. L'Ugta n'acceptera jamais un pareil état de fait. Je tiens à ce que les choses soient très claires à ce sujet. Pour enchaîner sur les sujets récurrents, force est de dire que le débat autour de la loi sur les hydrocarbures est loin d'être fini. Le ministre revient régulièrement à la charge comme s'il voulait faire passer absolument ce texte sans le moindre amendement. Quel est votre sentiment sur le sujet? Je dis et redis que nous n'avons pas de blocage concernant la question des hydrocarbures. Le concept de réformes à connotations positives est définitivement accepté par l'Ugta. La réforme des hydrocarbures, si elle s'inscrit dans ce sens, ne fait absolument aucun problème. Je pense qu'un bras de fer, dans l'état actuel des choses, n'arrangerait ni l'Ugta ni les pouvoirs publics. Mais cela ne semble pas être l'avis du ministre, qui persiste à dire que le texte reste à l'ordre du jour, sans le moindre amendement... Pour tous les textes de loi, le gouvernement sollicite l'avis de la Centrale, lequel peut donner lieu à un débat. Pour le moment, il n'en est rien. Pour nous, il n'y a pas de projet de loi à l'ordre du jour. Nous refusons simplement de spéculer sur quelque chose qui n'existe même pas. Pourquoi chercher une confrontation sur la base d'une simple spéculation? Permettez que les sujets récurrents soient encore abordés. Il me souvient avoir fait un entretien avec vous l'année passée, dans lequel vous disiez que le dixième congrès vous avait donné mandat pour décrocher un Snmg de 15.000 dinars. Pensez-vous atteindre cet objectif alors que votre mandat expire l'année prochaine ? D'abord, je pense que l'élément fondamental passe par l'abrogation de l'article 87-bis de la loi 90-11. En réalité, le salarié n'a jamais bénéficié des augmentations déjà décrochées à cause de ce texte. Cet article empêche l'instauration d'un Snmg situé véritablement à 10 000 dinars comme c'est le cas en théorie. Notre revendication, donc, lors de la prochaine tripartite, sera une abrogation pure et simple de cet article. A partir de ce moment, les augmentations futures seront réellement perçues par les salariés. Je tiens à ajouter que le gouvernement paiera déjà une lourde facture sur la base de la simple abrogation de cet article. Nous n'avons pas encore fait une évaluation de ce manque à gagner, mais il ne fait aucun doute que cela se ressentira fort positivement sur les salaires des travailleurs. Certes, mais nous avons l'impression que l'Ugta se contente depuis quelque temps de très peu. Explication. Outre l'abandon de la revendication d'un Snmg à 15 000 dinars, l'Ugta avait fait appel à des experts pour établir que les besoins vitaux d'une famille de 5 personnes étaient légèrement supérieurs à 22.000 dinars, enfin, l'embellie financière actuelle continue de ne profiter qu'à des catégories minoritaires de la population. Pourquoi cette timidité alors que les conditions sont on ne peut plus favorables, partant du principe qu'une amélioration du pouvoir d'achat doperait et la production et la concurrence, ce que veulent eux-mêmes les pouvoirs publics? Il ne s'agit nullement de timidité. La revendication est un acte permanent. Certes, il y a une embellie financière. Je suis de ceux qui disent que les travailleurs doivent en bénéficier. Mais si c'est chimériquement, je ne le souhaite pas. Si je demande et obtiens 15.000 dinars, est-ce que les entreprises peuvent toutes assumer, et est-ce que cela ne va pas précipiter certaines vers leur ruine? Des études sérieuses s'imposent puisque la plupart des entreprises font beaucoup de bénéfices sans que cela se ressente sur le vécu des travailleurs lesquels, pourtant, favorisent en premier chef la création de toutes ces richesses... A quand une distribution plus équitable des richesses? Il faut aller vers une tripartite qui déterminera de manière sérieuse une démarche cohérente concernant le pouvoir d'achat. Il faut, pour cela, que les uns et les autres acceptent que les richesses soient redistribuées de manière plus équitable. Il est vrai que des richesses se constituent sur le dos du travailleur. Je suis de ceux qui disent qu'il faut encourager la hausse du pouvoir d'achat. Il s'agit d'un facteur déterminant pour la relance de la machine économique. Il faudra aller vers un débat avec le gouvernement et le patronat pour trouver la mécanique d'une augmentation du pouvoir d'achat qui devra constituer le principal rouage de la relance économique. Je ne demande pas un « dû », mais plutôt une redistribution correcte afin que la machine puisse redémarrer sur des bases plus saines et plus durables. Il faut convenir que pour le moment, les richesses sont quasi exclusivement générées par la manne pétrolière... Cela sous-entend que la relance est également tributaire de la remise à niveau des entreprises... Effectivement. Tout est lié. Il y a une liaison dialectique. Tout est lié. La question qui se pose donc c'est par quoi commencer. C'est pourquoi j'enchaîne pour demander l'avis de l'Ugta sur la loi de finances 2005 et quel bilan elle fait des premiers mois de gouvernance d'un président qu'elle a soutenu. J'avoue ne pas avoir pris connaissance de cette loi de finances. Pour le reste, laissons le temps au temps. Je n'ai pas à apporter des jugements maintenant. Je n'ai ni appréciation ni bilan à faire. Je représente une organisation syndicale qui a apporté son soutien au président de la République avec beaucoup de plaisir. Cela ne veut pas dire que nous allons nous transformer en petits comptables pour suivre pas à pas les activités du chef de l'Etat. Cela n'est pas notre travail. Certes. Permettez que je m'explique un peu mieux. Une centrale aussi puissante qui, peut-être, a fait la différence lors de ce scrutin, ne pouvait pas se lancer dans la bataille sans émettre quelques conditions, ou revendications de base. Cela n'est-il pas vrai? Le bilan, pour nous, se fait sur cinq années. Il se fait sur la base d'un mandat. Mais il y a quand même une tendance qui se dégage, non? Ce que nous voulons, c'est accompagner un programme qui puisse répondre aux attentes. Sur ce point oui, je dis qu'il faut qu'on tarabuste le gouvernement afin que soit appliqué le programme que nous avons salué. L'objet de la question était celui-là. A titre d'exemple, l'Ugta ne peut qu'applaudir aux 50 milliards de dollars débloqués pour aider à la relance économique, sauf qu'elle devrait disposer du droit de regard sur la destination de ces fonds, puisqu'il est permis de supposer que cet argent servira peut-être à mettre en place les conditions les meilleures avant que les multinationales ne viennent s'installer chez nous... Doit-on tricher avec nous-mêmes? Les 50 milliards de dollars qui sont dégagés ne sauraient aller dans un pipe de pertes pour le simple plaisir de voir tout cet argent partir en fumée ou servir des desseins autres que ceux pour lesquels cette enveloppe a été dégagée. L'argent a été débloqué dans le but de relancer la machine économique. Le travailleur a une part dans cette machine. L'Ugta dispose en effet, du droit de demander où va aller tout cet argent. Je ne voudrais par exemple pas que ces 50 milliards aillent dans la consommation. Que cet argent serve à la remise à niveau des entreprises, y compris privées. Il s'agit aujourd'hui de redonner une autre vision à l'activité économique. Il y a un président nouvellement élu. Il y a un gouvernement. Il y a un programme. Tout en gardant ses prérogatives et son autonomie, l'Ugta est favorable aux réformes économiques véritables. Ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est le degré de cohérence à l'intérieur de ces réformes. Nous ne pouvons sacrifier l'essentiel pour l'accessoire. A ma connaissance, je peux dire que nous sentons chez le président de la République la volonté d'aller de l'avant. C'est la première fois qu'il lance une offensive de cette envergure contre la corruption. Il s'agit d'un indicateur important dans la gestion économique. Le président a besoin de gens qui vont lui signaler les éventuels blocages ainsi que les corrections jugées nécessaires. Cela ne veut nullement dire que l'on s'ingère dans ses prérogatives. Nous cherchons à l'éclairer par des propositions concrètes et qui portent leurs fruits. La question qui se pose, c'est comment accompagner ces avancées tout en gardant notre autonomie et en exprimant clairement nos différences. Je peux exprimer cela aussi bien publiquement que lors de réunions fermées si je juge que ce que je critique vise à porter préjudice à la synergie que le président veut enclencher. Nous ne cherchons pas à enflammer les troupes. Quel que soit le contenu de toutes les réformes, leur projection doit être basée sur la concertation, la sérénité et la sagesse. L'Algérie, aujourd'hui, est un pays qui bénéficie d'une aura internationale et d'une amélioration sécuritaire, elle vit un tournant sociétal qui doit nous amener tous à nous engager pour aider à faire avancer les choses, cela dans l'acceptation de la différence entre les uns et les autres. Les jeunes d'aujourd'hui n'ont plus besoin de discours creux mais de choses concrètes qu'il nous appartient de leur apporter. C'est à nous de venir vers eux et non pas l'inverse. Si on rate le tournant de cette fin 2004, nous risquons de ne pas nous relever pour longtemps encore. Donc, étouffons nos rancoeurs et regardons ensemble vers l'avenir en respectant les prérogatives et les différences des uns et des autres. Ce n'est que comme ça que va se reconstruire la nation algérienne. L'Ugta a bien sûr ses faiblesses. Elle n'en estime pas moins avoir le droit de s'opposer à ce qu'elle juge être contre-productif et soutenir toutes les avancées positives. Je cite, à titre d'exemple, les nombreuses critiques faites au président à cause de ses voyages. Nous sommes forcés d'admettre aujourd'hui que c'est grâce à ces voyages que l'Algérie a retrouvé sa place. En tant qu'organisation syndicale disposant de contacts partout dans le monde, nous sommes bien placés pour le savoir, en témoigner et nous en réjouir. Je suis fier d'apporter ce témoignage en ma qualité de secrétaire général de l'Ugta. L'Ugta ne s'est pas trop impliquée dans la polémique relative au nouveau code de la famille, laissant le champ libre aux islamistes. Pourquoi? Pourquoi dites-vous que l'Ugta ne s'est pas trop impliquée. Je ne me sens nullement complexé par cette question parce que nous avons été parmi les premiers à demander l'abrogation du code de la famille. A cette époque, on considérait notre position comme une hérésie. L'Ugta ne s'est jamais tue par rapport au nouveau code. Elle a envoyé au front sa commission nationale des femmes travailleuses. Tout en étant autonome, cette commission n'est pas free-lance. Et puis, ce sont les femmes qui ont parlé. Je le dis et le redis, s'il faut se bagarrer plus fort que maintenant, nous n'hésiterons pas un seul instant. Il y va de l'équilibre de la société, puisque on évoque beaucoup ce terme depuis quelque temps. Si demain, il y a une offensive rétrograde, nous y opposerons une offensive progressiste. Nous n'avons pas encore déployé la grosse artillerie. L'Ugta soutient les amendements proposés par le gouvernement, même s'ils demeurent en deçà de nos revendications. Nous considérons qu'il s'agit là d'une avancée considérable, et nous allons même jusqu'à remercier le chef du gouvernement et le président de la République. Ils sont en train de casser des tabous. C'est pour cela qu'il faut les accompagner, les soutenir et, s'il le faut, se battre à leurs côtés.