Dès l'annonce de l'importation de la viande fraîche d'Europe, les prix du produit local commencent, quoique timidement, à baisser. Après les os, on casse les prix. Comme celui de la téléphonie mobile, le marché des viandes s'emballe, avec l'effervescence qu'on lui connaît, en ce début du mois de Ramadan. La viande rouge, cet aliment sur lequel se rabattent, en masse, les ménages algériens notamment en pareille circonstance, continue, comme il fallait, quelque peu, s'y attendre, à défrayer la chronique, tant les prix qu'affichent les étals des bouchers, restent, à ce jour, inaccessibles aux bourses modestes. Mais depuis que l'Etat, par le biais du ministère de l'Agriculture, a décidé de jouer son rôle pourtant de régulateur en autorisant, de fait, l'importation de la viande fraîche de certains pays européens dont la France, pour, de l'avis de Saïd Barkat, ministre de la l'Agriculture, «réduire» un tant soit peu, la montée «fiévreuse» des prix, la tendance dans les marchés connaît, depuis une semaine, une accalmie précaire. Du coté, de la viande congelée, un produit particulièrement écoulé du fait de son coût «abordable» aux larges couches, les marchands que nous avons interrogés, se disent sereins quant à la demande «massive» des viandes solidifiées importées d'Amérique latine. Contrairement, donc, aux années précédentes où, faut-il encore le rappeler, l'accès à la viande rouge, ovine ou bovine, mettait la population dans une situation financière très fragile, cette fois-ci, la règle du jeu a «sensiblement» évolué, notamment depuis que l'on a autorisé, dans un premier temps, les opérateurs privés à importer la viande congelée. Une démarche dont ont été nombreux les citoyens à l'avoir, unanimement, saluée et considérée comme étant une mesure salvatrice pour leur équilibre social. L'importation de la viande fraîche annoncée, en grande pompe par les pouvoirs publics et dont le prix avoisinerait les 500 DA serait une échappatoire pour ces milliers de citoyens laminés par un pouvoir d'achat des plus vulnérables. Ainsi, tout porte à croire que la «bataille» de la viande tiendra, comme prévu, sa promesse d'être rude. Les différents acteurs exerçant dans cette vaste et sinueuse activité, qu'ils soient bouchers, maquignons, importateurs et autres, mettront les bouchées doubles afin que chacun puisse vendre le plus, et par voie de conséquence, gagner le plus. C'est justement, dans cette perspective que l'on parle fréquemment depuis les derniers jours d'une baisse sensible sur les prix des viandes. Mais comment cela est-il possible? 500 DA et mille interrogations A une dizaine de jours du mois de Ramadan, le ministère de l'Agriculture dont le souci a été de mettre un frein à la flambée des prix constatée sur tous les marchés du territoire national, avait annoncé officiellement son autorisation aux opérateurs privés intéressés d'importer les viandes rouges fraîches de cinq pays grands producteurs de l'«or rouge». Il s'agit de la France, l'Espagne, l'Allemagne, la Hollande et enfin l'Irlande, dont la notoriété internationale est incontestable. 15 importateurs ont été ainsi, choisis parmi les nombreux soumissionnaires, pour approvisionner le marché national avec des prix abordables. Certaines voix parlent de 500 DA le kilo par le fait, soutiennent-ils, que le prix en Europe de ce produit est comptabilisé à 3 euros, en plus, évidemment, des frais de transport et autres taxes et charges douanières. Dans sa dernière sortie, M.Barkat, tout en rassurant du contrôle vétérinaire rigoureux qui concernera toutes les quantités importées, avait annoncé l'arrivage pour cette semaine de 3000 tonnes de viande fraîche. Au sujet de l'égorgement du bétail acheté, la tutelle rassure. La mosquée de Paris, impliquée elle aussi dans cette opération, a récemment donné son approbation de la qualité «halal» de la viande destinée au marché algérien. Sur le terrain, on joue la prudence. Au marché populaire Nelson de Bab El Oued, les bouchers que nous avons rencontrés commentent différemment l'événement. Les interrogations fusent notamment au sujet du temps «très court» laissé aux importateurs pour acheminer, dans les délais, la marchandise: «Pourquoi a-t-on attendu jusqu'à une semaine du Ramadan pour décider d'importer la viande d'Europe» se demande, un boucher du marché couvert de la ville de Réghaïa (30 km à l'est d'Alger), mettant en doute la possibilité de la mise sur étals des viandes importées durant les premiers jours du jeûne en raison de la durée du transport Un autre, dans la ville d'Aïn-Taya (34 km à l'est d'Alger), bien que favorable à cette nouvelle formule, ne cache pas ses craintes notamment celles liées au mode de payement des quantités acquises au niveau des abattoirs. «Rien n'est clair. Je ne sais pas comment on va payer la marchandise en espèces, par chèque...» s'inquiète-t-il. Autant d'appréhensions que nourrissent «légitimement» de nombreux bouchers qui craignent, au cas où ils optent pour la viande importée, de voir le prix de la locale baisser avec le succès commercial qui en résulte. Autre grief retenu par un boucher : la marge bénéficiaire de ce nouveau produit: «je gagne 100 DA au kilo par exemple, je préfère, dans ce cas de figure, continuer à proposer à mes clients la viande locale» surtout lorsqu'il aborde avec autant d'acuité la baisse imminente du prix de la viande locale. Tandis qu'approchait, au fur et à mesure, le mois de Ramadan, et avant même l'annonce, par la tutelle, de l'importation des viandes rouges, les citoyens, eux, assistaient, désemparés et très souvent impuissants face à la montée vertigineuse des prix des viandes rouges. Les étals des bouchers en étaient le support: l'ovine affichait entre 750 et 780, voire chez certains, 800 DA. La bovine suivant la même tendance se vendait, elle, entre 650 et 700 DA. Le foie, un produit très prisé durant ce mois, est cédé au prix «effarant» de 1400 DA. Les spéculateurs calment le jeu Les raisons d'une telle flambée sont liées, selon les explications de nos interlocuteurs, à la contrebande du bétail à la frontière tunisienne qui aurait atteint des proportions alarmantes. «Une véritable mafia, armée et bien organisée fait une razzia sur le bétail algérien en exportant illégalement vers d'autres pays des milliers de moutons. D'où l'insuffisance de l'offre», explique M.Righi Djamel, le boucher d'Aïn-Taya. Les autres coupables sont, de toute évidence, les spéculateurs qui, à la veille du mois de Ramadan, achètent toute la production aux éleveurs pour dicter leurs bas objectifs. «Ils exercent une domination quasi totale sur le marché», ajoute-t-il en excluant le prétexte, soutenu par tous les maquignons, relatif à la cherté de l'aliment du bétail: «C'est fax ! Ils avancent cet argument pour relever leur prix, nie notre interlocuteur, nous avons eu droit à une pluviosité très importante et à des conditions climatiques des plus favorables». Pluviosité ou pas, le constat est le même et tous les avis convergent sur la responsabilité directe des contrebandiers et des spéculateurs dans cet état de fait. Mais depuis que le feu vert a été donné à l'importation de la viande fraîche, les principaux acteurs de la chaîne opaque de la viande, semblent, revoir leur copie. De peur de voir leurs marchandises s'entasser dans les frigo-stocks des abattoirs sans trouver preneur, ce qu'on appelle dans le lexique de la boucherie «les spéculateurs» tentent, bien avant même l'arrivée de la viande importée, d'opérer quelques «timides» baisses sur leurs produits. Jeudi, aux abattoirs de Ruisseau à Alger, les prix ont connu une baisse sensible dont la seule explication demeure, selon le directeur-adjoint des abattoirs en question, la peur de voir la viande importée envahir le marché. Ainsi, que le prix (gros) a oscillé entre 600 et 700 DA. La bovine est proposée chez les grossistes entre 570 et 630 DA. Mais enfin, si l'on ne cesse de parler ou plutôt louer les viandes importées et les avantages y afférents dont l'impact positif sur les prix pratiqués par les uns et les autres, on oublie vite que les marchands locaux, eux aussi, attendent leur moment pour casser, à leur tour, les prix. Ce qui est sûr, au bout du compte, c'est que plus les prix baissent, plus les larges couches de la société en profitent et plus s'achèveront les longues années des vaches maigres, pour peu que cette éventualité se concrétise sur le terrain.