Vingt-neuf familles attendent toujours que l'on veuille bien s'occuper d'elles. Pour rencontrer des sinistrés, nul besoin d'aller plus loin que la ville de Tizi Ouzou. En effet, à la sortie nord-ouest de la ville, dans l'enceinte de la piscine olympique, vingt-neuf familles attendent toujours que l'on veuille bien s'occuper d'elles. Placées là par la municipalité de Tizi Ouzou, ces familles, quoiqu'on dise, sont pour la plupart issues soit des faubourgs de la ville, soit du centre-ville. Certes, elles ont vécu dans des habitations vétustes pour la plupart, mais est-ce qu'on peut choisir décemment d'habiter dans ces endroits si l'on trouve mieux? La question ne se pose même pas, il ne manquait rien à la misère ambiante. Malgré cela, ces familles se sont montrées d'une dignité et d'un courage exemplaires. Hommes, femmes et enfants ont dit leur angoisse permanente et leur découragement qui, souvent, se transforment en désespoir et en colère. Ramenées sur le site par la municipalité au lendemain du séisme, ces familles sont depuis, livrés à elles-mêmes. Sous des tentes dressées dans un terre-plein de la piscine olympique de Tizi Ouzou, plusieurs familles se sont entassées là durant de nombreux mois. Certaines d'entre elles, plus chanceuses, ont eu droit à un relogement et aujourd'hui, elles ne sont plus que 29 à attendre que les pouvoirs publics se souviennent d'elles. Dès les escaliers donnant accès au terre-plein, jadis court de tennis, une odeur pestilentielle vous prend à la gorge. Ce sont les ordures ménagères qui s'entassent là attendant le bon vouloir des services du nettoiement. Ici, on ne passe que tous les cinq mois et cela dans le meilleur des cas, nous dira une mère de famille, enseignante, ayant sa tente juste à côté de ces ordures. La dame volubile est l'une des sinistrées qui a en gros sur le coeur et qui a envie au moins de le vider, dira-t-elle. Elle explique que les enfants sont scolarisés à Tizi Ouzou depuis toujours pour certaines familles qui y sont nées. Alors parler d'extra-commune, cela ne tient pas debout, explique cette enseignante qui ajoute: «le Ramadan est proche et nous avons décidé d'inaugurer le mois sacré en squattant des logements. Comment faire autrement, quand il semble que ce soit la seule méthode que certains entendent. Nous sommes fatigués d'attendre et de nous voir à chaque fois rabroués. Que l'on nous donne des chalets ou qu'ils nous disent clairement que nous ne sommes pas des Algériens!» Lors des discussions que nous avons eues avec les familles on a évoqué la visite de M.Sidi Saïd en juin 2003: «Nous étions alors 89 familles, des promesses ont été faites, mais depuis, plus aucun signe». Les femmes se mêlent aux discussions, elles en ont gros sur le coeur, pas de toilettes, pas d'eau courante, des tas d'ordures juste à côté des tentes qui ne passeront certainement pas l'hiver tellement elles semblent usées. «On est en train de les recouvrir de toiles en plastique pour assurer un semblant d'étanchéité, cet hiver elles ne seront plus en mesure de nous protéger», dira l'une des dames. Les sinistrés disent que les dons internationaux existent, mais ils ne leur sont point parvenus. Selon eux, on leur aurait assuré quelques dons en produits alimentaires jusqu'à juin dernier, depuis plus rien. Mais eux ce qui importe le plus, c'est d'avoir un toit pour cet hiver. Et notre enseignante de poursuivre: «C'est dans cette tente où tout ce que je possède est déposé, que je dois faire ma cuisine, la toilette des gosses, laver le linge et aussi faire dormir tout le monde. Déjà ceux qui vivent dans un appartement se plaignent du manque d'espace, alors sous une tente!». Se taisant un moment comme pour remonter l'époque précédant le séisme, les temps où elle et sa petite famille avaient un chez eux, elle reprend: «Vous savez la dernière fois, j'ai offert des vacances aux petits avec l'aide des oeuvres sociales de l'éducation. J'ai remporté le prix du rangement de la tente, une habitude désormais mienne». Une autre dame intervient pour dire: «Sous une tente, on brûle en été et on gèle en hier», elle sort des photographies prises sous la neige, l'hiver dernier, l'image est saisissante de beauté et aussi de désolation, des enfants sont représentés sautillant sur la neige, ils donnent cette nette impression de ressembler à des moineaux égarés, sur les photos, les tentes ploient sous la neige, une petite fille toute proprette intervient pour dire: «Il a fait froid la nuit, ce jour-là». A l'ombre et près d'une tente assez usée et branlante on continue de discuter ave les sinistrés. Les femmes suivent la discussion avec un intérêt certain. L'un des hommes dira que plusieurs femmes et enfants sont tombés malades. Il montre du doigt une jeune femme allongée devant l'entrée d'une tente. «C'est ma fille, elle est malade et elle vient de sortir de l'hôpital, elle est encore faible et veut se reposer, mais où? Elle n'est pas la seule dans ce cas». Pour mieux confirmer que les familles présentes encore sur le site sont majoritairement de la ville de Tizi Ouzou, on montre des papiers, des extraits de naissance et l'un dira: «Vous connaissez la famille Iratni à Tizi Ouzou? C'est nous!». En effet, cette famille est une ancienne famille de la ville. La petite fille de cette famille dira spontanément: «Quand je serai grande, je serai pompier pour démolir toutes les tentes», un autre de dire: «Rien ne nous parvient, les taxieurs kabyles de Paris ont fait des dons, mais rien ne nous est parvenu.» Cependant, ce qui intéresse le plus ces familles ce sont les logements. «Ils auraient pu nous procurer des chalets», reprennent en choeur les hommes. Et de revenir longuement sur ces sinistrés, du moins certains cas qui ont leurs logements classés vert et qui ont pu avoir un logement. «Vous savez, il y avait avec nous au début quelqu'un dont la maison n'avait pas du tout souffert et qui a bénéficié d'un autre logement, il loue son ancien logement à un autre sinistré, un vrai celui-là». «C'est ce qui fait que les autorités nous ont classés dans la catégorie des cas sociaux et non dans celle des sinistrés. Mais venez avec nous du côté de la haute ville ou encore de Boukhalfa et vous constaterez vous-mêmes ce que l'on vous dit». Puis comme dans un mouvement d'extrême colère et d'une même voix pleine de désespoir, tout le monde dira: «Ils nous encouragent à squatter ces logements et il y en a qui sont fermés. La patience a des limites, on finira bien par le faire et cela ne saurait tarder». Aujourd'hui, unies dans le malheur, ces familles venues de divers horizons se sont reconstituées en une sorte de village où le mot solidarité a un sens. Des sansressources existent aussi sur ce site. Dignes, ces familles ne comptent, cependant, hélas que sur leurs voisins et camarades de même sort. Ainsi, cette veuve avec trois jeunes orphelins à charge ne possède comme ressources que trois mille dinars provenant de la retraite de son défunt mari. Est-ce un moyen que de nourrir trois enfants avec trois mille dinars? Quand on examine l'endroit, une chose frappe l'esprit. Comment ces familles arrivent-elles à rester propres et à tenir leurs enfants propres dans cet endroit où ni l'eau courante ni les sanitaires n'existent? C'est le système D, répliquent les sinistrés. Quand on se remémore les affirmations du président de la République qui avait promis, que plus aucun sinistré ne passerait le Ramadan sous la tente et quand on voit que la promesse a été tenue ailleurs, alors l'on se dit que les sinistrés de Tizi Ouzou et ce ne sont surtout pas des cas sociaux comme les autorités locales ont tendance à les présenter, ils sont tout simplement oubliés. Dans quelque temps, les sites encore existants seront fermés aux sinistrés qui apparemment seront «priés» d'aller ailleurs. La piscine olympique en pleins travaux de rénovation, reprendra ses activités et c'est ce qu'il y a de plus normal et le site de la grande surface de Belloua sera donné aux petits marchands à la sauvette qui y seront désormais logés; alors, qui s'occupera de ces familles? Et pourquoi pas des chalets en attendant de leur construire des logements? La question mérite une réponse.