Si l'histoire inverse s'était produite, le monde se serait violemment soulevé. Ce n'est que difficilement que le monstrueux Sharon a dissimulé sa joie de voir disparaître celui qui incarne le plus et le mieux la cause palestinienne. Dès l'annonce de sa «douteuse» maladie, le bourreau de Sabra et Chatila avait commencé à tirer des «plans sur la comète», comme s'il en savait bien plus qu'il ne voulait en dire, prévoyant d'avance d'entamer des «négociations» avec une direction palestinienne plus «malléable», ou «responsable» pour reprendre l'euphémisme de celui qui n'en connaît pas dès qu'il s'agit de tirer à vue sur tout ce qui bouge. Au moment où Sharon se prépare à inaugurer une ère nouvelle, sans sa «bête noire», ses deux principaux alliés en les personnes de Bush et Blair, respectivement présidents des Etats-Unis et du Royaume-Uni, se sont rencontrés, hier, à la Maison-Blanche dans le but de débattre de l'avenir du Moyen-Orient. Toujours est-il que Sharon, qui donne l'air d'appréhender les choses sous un bien meilleur angle, ne prévoit rien moins qu'une «reprise des négociations après Yasser Arafat avec une nouvelle direction palestinienne» qu'il qualifie de «responsable». C'est, du moins, ce qu'il a déclaré à la radio israélienne quelques heures après l'annonce de la mort du président palestinien. Réécrivant l'histoire à sa manière, ignorant donc toutes les transgressions commises par l'entité sioniste tandis que les Palestiniens s'en sont toujours tenus à leurs engagements, Sharon ose tenter de diviser les rangs de l'OLP en émettant cette singulière condition: «Si, après la fin de l'ère Arafat émerge une autre direction, sérieuse, responsable, qui remplisse ses engagements conformément à la Feuille de route (...), les conditions seront réunies pour coordonner avec cette direction différentes options et même rétablir avec elle, les négociations politiques.» Ce ne sont rien moins, dès lors, que de nouvelles concessions qui seraient exigées de cette nouvelle direction. Celle-ci, et quelle qu'elle soit, refuse catégoriquement d'aller plus loin que son chef charismatique, lequel a poussé la bonne volonté et les concessions aussi loin que le lui permettaient sa conscience, sa cause, ses engagements ainsi que la confiance placée en lui par le peuple palestinien. Sharon, qui continue de berner le monde avec ses «petites concessions» rattrapées par de «grosses incursions», des destructions de quartiers entiers, des assassinats terroristes et des déportations pareilles à celles des anciens nazis, a laissé entendre par cette déclaration, ont estimé des analystes, que le plan de retrait unilatéral de la Bande de Gaza qu'il entend mettre en oeuvre d'ici 2005 pourrait se faire en concertation avec la nouvelle direction palestinienne. Il énumère comme suit les engagements que les Palestiniens, selon lui, doivent remplir conformément à la Feuille de route. Il s'agit de «l'arrêt du terrorisme, des violences et de l'incitation à la violence, le démantèlement des organisations terroristes et la mise en oeuvre de réformes» au sein de l'Autorité palestinienne. La presse israélienne, abondant dans le même sens, a elle aussi proclamé, hier, que la mort du président Arafat «offre une nouvelle chance pour la paix». Fidèle à ses habitudes, fermant pudiquement les yeux sur les exactions commises contre le peuple palestinien, y compris sur ses enfants désarmés, elle continue de tremper son encre dans le vitriol en s'attaquant à un homme qui continue de lui faire peur, même mort et enterré. «Un nouvel Proche-Orient» titre ainsi le quotidien Maariv dont l'éditorialiste, haineux et fielleux jusqu'à l'écoeurement, se déclare «soulagé» par cette mort. «Une nouvelle ère», titre le quotidien à grand tirage Yediot Aharonot qui estime qu'un accord de paix est devenu «peut-être possible». Il relève que le chef du gouvernement de droite israélien, Ariel Sharon, ennemi juré d'Arafat, est le premier dirigeant israélien à «être débarrassé du spectre d'Arafat». Le quotidien libéral Haaretz envisage lui aussi l'ouverture d'une nouvelle ère dans un article-réquisitoire à la charge d'Arafat. Normal pour les «sbires» de Sharon de se montrer aussi charognards dans leurs attaques injustifiées contre le dernier des grands hommes de l'époque contemporaine. L'honneur, heureusement, est sauvé par Shimon Perez, objectif dans ses analyses et conscient de tous les grands services rendus par Arafat à la cause palestinienne, mais aussi à la paix et au dialogue véritable. «Les Palestiniens voient en Arafat le père de leur nation. C'était la voix et le symbole de la cause palestinienne», a ainsi affirmé cet ancien Premier ministre dans une déclaration publiée par le journal américain The International Herald Tribune. Il y ajoute que M. Arafat «a fait plus que n'importe quel autre leader pour forger une identité palestinienne unique et ses efforts inlassables ont permis d'inscrire, quatre décennies durant, la cause palestinienne au premier plan de l'ordre du jour international».